mardi 7 juillet 2009

Petit Guide Pratique de la Réquisition Citoyenne

Petit GuidePratique de la Réquisition Citoyenne 1 – Qu’est-ce qu'une réquisition citoyenne ? Une réquisition est une occupation légitime d’un lieu laissé vide volontairement par son propriétaire sur une longue durée. La réquisition n’est pas illégale : elle est prévue par la loi mais pas appliquée. La réquisition n’est pas une atteinte à la propriété : elle retire juste la jouissance d’un bien à un propriétaire qui manque à son devoir social d’utiliser son bâtiment. L’occupation sans droit ni titre ne relève pas du tribunal pénal mais du tribunal civil. Elle ne peut en aucun cas donner lieu ni à une peine de prison ni à une mention au casier judiciaire. La réquisition de bâtiments vides est légitimée par le contexte de grave crise du logement dans laquelle nous nous trouvons. 800 000 logements vides en France, 136 000 à Paris selon l'INSEE. 2 millions de mètres carrés de bureaux vides à Paris, c'est la surface du Luxembourg (le pays, pas le jardin) ! Pendant ce temps, 10 millions de mal-logés, 500 000 sans-abris, 1,4 millions de demandeurs de logement social en France. Lorsque le décalage est si grand entre la difficulté à se loger rencontrée par de plus en plus de Français de toutes les classes sociales, et la quantité de logements vides, alors un sursaut citoyen est indispensable. Lorsqu'à l'individualisme des propriétaires s'ajoute l'inaction des pouvoirs publics, et leur surdité aux appels de toutes les associations de défense des mal-logés, alors la désobéissance civique est légitime. La réquisition est possible en France actuellement, car la loi protège les occupants sans droit ni titre contre une expulsion sans procès. A partir d'une semaine d'occupation, à condition que le bâtiment soit effectivement vide, les occupants sont considérés comme résidents du lieu, et ne peuvent être expulsés sans une décision du juge à l'issue d'un procès. Cela peut paraître bizarre, mais tout simplement le droit au logement, dans le droit français actuel, a son mot à dire à côté du droit à la propriété. Nous demandons qu'il soit privilégié par rapport à la libre jouissance de lieux vides, mais cela prend du temps, et il faut déjà changer les mentalités avant que la loi ne valide ce retournement de priorité. Le collectif Jeudi-Noir, profitant de l'expérience de l'association MACAQ (Mouvement d'Animation Culturelle et Artistique de Quartier), a remis la Réquisition Citoyenne au goût du jour à Paris. En réquisitionnant fin 2006 le 24 rue de la Banque dans le 2e pour y faire le Ministère de la Crise du Logement, puis début 2008 le 7 impasse Saint-Claude dans le 3e, c'est un grand mouvement de réquisition qui s'amorce. Cette fièvre de la réquisition ne prendra fin que lorsque des solutions concrètes auront été mises en place pour tous les mal-logés ! Dans ce guide pratique, Jeudi-Noir vous livre toutes les ficelles pour réussir vous aussi votre réquisition, où que vous soyez. 2 – Etes-vous fait(e) pour la réquisition ? Pour prétendre à réquisitionner, il faut tout de même être objectivement mal-logé. Sans-abris, sans-domicile-fixe, habitant d'un logement insalubre, d'un foyer surpeuplé, logé dans une surface trop petite, trop loin de son lieu de travail, loyer ou remboursement de crédit trop cher pour vos ressources... finalement le mal-logement en France est tellement répandu que selon les critères des offices HLM, c'est 70% des français qui peuvent prétendre à un logement social, c'est à dire qu'ils sont effectivement mal-logés. On peut fixer le taux d'effort qu'un foyer peut investir dans son logement à 25% des revenus. Si vous dépensez actuellement 40%, 60%, voire 80% de vos revenus dans votre logement, alors vous pouvez vous considérer comme mal-logé. A moins de 25%, si votre logement convient à vos besoins en terme de surface et de localisation, vous êtes bien logé. Mais avant de réquisitionner, avez-vous réellement fait les démarches nécessaires pour trouver un logement adapté ? Si vous cherchez dans le privé, évitez à tout prix les agences de liste, qui vous vendent à prix d'or des listes d'appartements prétendument à louer, qui se révèlent en fait ne pas exister, où être déjà loués... Privilégiez les plans par bouche à oreille, car les bons plans n’ont pas besoin de poster d’annonce pour trouver preneur ! Enfin, réfléchissez à la collocation… c'est tout de même plus sympa d'habiter à plusieurs que tout seul ! Et c'est un peu moins cher. Évidemment, en situation de crise du logement, les voies classiques sont très difficiles. Si vous y avez droit, faite une demande de logement social ou universitaire ! C'est sûr que la pénurie absolue de HLM et de cités U rend les délais d'attente quasi illimités. Parfois il faut attendre dix ans avant de trouver une place en logement social ! Mais on ne sait jamais, retirez tout de même un dossier de demande. Il faut le renouveler tous les ans. Si vous n'avez trouvé de logement ni dans le privé ni en logement social, alors vous pouvez envisager la réquisition. Mais attention, il faut encore savoir votre positionnement politique ! La réquisition est un acte politique lourd de sens : cela signifie bousculer la loi. La réquisition n'est légitimée que par une volonté citoyenne de modifier la loi en faveur de tous. Si pour vous, réquisitionner un immeuble répond à un besoin individuel strict, alors vous n'êtes pas fait pour la réquisition. Si pour vous, réquisitionner un immeuble répond à l'envie de supprimer toute loi et de renverser la société, alors vous n'êtes pas fait pour la réquisition. La réquisition citoyenne se distingue du squat dans la mesure où elle ne cherche pas à créer un espace en-dehors de la société, mais au contraire elle cherche à donner un exemple de solution concrète pour résoudre un des problèmes de la société. Pour réquisitionner, vous devez donc être à même de justifier votre action devant le propriétaire, devant le juge, devant les médias, devant la société toute entière... Ce guide est là pour vous y préparer ! 3 – Choisissez la cible Première chose à faire évidemment : trouver un bâtiment vide. Comment repérer un bâtiment vide ? Rien de plus simple ! Si les fenêtres sont sales, si la boîte aux lettres est pleine, si personne ne répond quand on sonne, alors le bâtiment a toutes les chances d'être vide. Souvent les propriétaires laissent des lumières allumées, précisément pour éviter les squatteurs. Mais grâce à ce guide pratique, vous ne vous ferez pas avoir ! Attention, assurez-vous que le bâtiment est en bon état. Ça ne sert à rien d’habiter un immeuble en train de s’écrouler, et d'ailleurs c'est un raison pour se faire expulser sans délai. Restez discret pour ne pas alerter le voisinage. Gardez en mémoire les fenêtre, rideaux, volets ouverts ou fermés, les lumières allumées. Vous repasserez plusieurs fois dans les semaines qui viennent, à différents moments de la journée. Si jamais rien ne bouge, vous pouvez être sûr que le bâtiment est vide. Cherchez dans l'annuaire si une ligne de téléphone est installée à cet adresse. Cherchez sur Google des renseignements sur le bâtiment. Sur www.cadastre.gouv.fr, recherchez sa surface et son propriétaire. Recherchez sur internet des renseignements sur le propriétaire. L'air de rien, demandez aux voisins, aux commerçants du coin, des informations sur le bâtiment : depuis combien de temps est-il vide ? qui est le proprio ? pourquoi le laisse-t-il vide ? Mais sans éveiller les soupçons sur vos intentions, évidemment. A partir de vos informations, essayez de deviner pour quelles raisons le bâtiment est vide : spéculation ? indivision ? oubli pur et simple ? propriétaire disparu ? Parfois, le propriétaire a des raisons valables de laisser vide le bâtiment, mais c'est extrêmement rare. Le plus souvent, il le laisse vide parce qu'il n'a pas envie de faire les démarches nécessaires pour le louer, et préfère attendre le bon moment pour le vendre au meilleur prix. Cette technique s'appelle la spéculation. C'est à cause de ces pratiques qu'il y a une pénurie de logements et que les loyers sont si chers. Il faut savoir qu'un bâtiment habité se vend moins cher qu'un bâtiment vide. Il existe une taxe sur les logements vides, mais elle n'est pas du tout suffisante pour être dissuasive. Elle n'est pas toujours payée, faute de personnel suffisant pour repérer les logements vides. De plus, les propriétaires qui cherchent à spéculer transforment de plus en plus de logements en bureaux : les bureaux ne sont pas soumis à la taxe sur les logements vacants, ils sont plus faciles à gérer (moins de fluides), et surtout sont beaucoup plus souples : il est plus facile de faire partir une entreprise qu'une famille lorsque vient le moment de vendre. Enfin, certains immeubles sont purement et simplement oubliés par leur propriétaire. La plupart des immeubles parisiens appartiennent à des grands groupes d'assurances ou à des banques. Les documents concernant leur patrimoine immobilier peuvent finir par se perdre, de secrétariats en conseils d'administrations. Lorsqu'on possède des dizaines voire des centaines de bâtiments dans le monde, il est possible d'oublier 3000 mètres carrés, comme on oublie un stylo derrière un bureau. Préférer un immeuble placé dans un quartier tranquille, voire chic, afin d'éviter de se faire harceler par des centaines de sans-abris qui demandent asile. Pas trop bourgeois quand même, car les élus peuvent être chatouilleux, et de toute façon les magasins sont trop chers ! MACAQ a occupé pendant un an et demi un immeuble devant le parc Monceau, c'était joli mais tous les restos, épiceries, sont hors de prix ! Attention : le bâtiment doit impérativement pouvoir être ouvert SANS EFFRACTION. Si la police parvient à faire la preuve que vous êtes entrés en cassant quelque chose, elle peut vous expulser sans délai, donc autant ne pas prendre le risque. Alors là, on laisse libre cours à votre imagination : fenêtre ouverte à l’étage, deviner le digicode, etc. 4 – Former l’équipe Très important : former une équipe de gens motivés, débrouillards, aux qualités complémentaires. Il vous faut : - des gens qui savent faire des travaux : électricité, plâtre, serrures, plomberie... quand on emménage dans un immeuble de bureaux on a envie de pouvoir se laver quand même. - un juriste, pour parler au propriétaire et aux policiers. - des gens qui savent parler aux médias et aux politiques. - des gens qui ont quand même un peu d’argent pour payer les travaux et les charges. - pas trop de cas sociaux. - d'une manière globale : des personnes sachant ce que veut dire « autogestion ». Prenez vraiment le temps de recruter soigneusement vos futurs colocs. La dynamique interne et la discipline sont les choses les plus importantes et aussi les plus dures à obtenir. Mieux vaut ne pas trop densifier au début : en fonction du bâtiment, une dizaine de personnes pour 1000m² suffisent tout à fait. De toute façon, il est impossible de savoir combien de personnes pourront être logées avant d'être entré dans le bâtiment. Lors du premier contact avec la police, il est important d'être suffisamment nombreux pour justifier de l'occupation de tout le bâtiment (3 personnes dans 1000 m², c'est un peu léger), et décourager une expulsion éclair. Mais il ne faut pas non plus être trop nombreux car la police doit être certaine qu'elle ne perdra pas le contrôle de la situation. Prenez le temps de prévenir tous les participants des risques encourus et de la stratégie à suivre, dans tous ses détails. Sur le moment on doit souvent réagir rapidement et il sera trop tard pour expliquer à ce moment là. Une réquisition est un acte fort et éprouvant émotionnellement. C'est une aventure collective à laquelle nous ne sommes pas préparés : dans notre société nous sommes individualisés, nous avons l'habitude d'être responsable de nous-même, de notre foyer éventuellement. Dans une aventure comme une réquisition, chacun est responsable du groupe tout entier. C'est une charge que beaucoup ne parviennent pas à supporter. Le groupe, les liens de solidarité et de complicité qui n'y créent, sont la condition indispensable au succès de la réquisition : personne ne peut assumer de se mettre autant dans l'illégalité, et de façon aussi frontale et affichée, sans être porté par un groupe. Seul, se lancer dans cette aventure est suicidaire. Ensemble, l'impensable devient possible : habiter pendant un an ou plus dans un bâtiment qui ne nous appartient pas ! Certaines réquisitions ont échoué car des personnes déjà médiatisées lors de précédentes réquisitions ont été mises en avant lors du premier contact avec la police. Ainsi, lors de la prise du 85, boulevard de Montparnasse, la mise en avant d'un des ouvreurs du 24 rue de la Banque, a déclenché l'expulsion immédiate des 20 habitants pourtant installés depuis cinq jours, en mobilisant près d'une vingtaine de cars de gendarmes mobiles. En règle générale, il ne faut pas faire peur aux autorités, surtout sous un gouvernement de droite : il est important de faire comprendre clairement à la police votre volonté de ne pas causer de trouble à l'ordre public. Donc privilégier des profils « lisses » : jeunes français dont pas mal de filles, pas trop mal habillés, parlant correctement. C'est bête, mais c'est important pour le premier contact avec la police. Une fois la réquisition officialisée, il sera toujours temps d'ajouter les personnes « moins présentables » (militants connus, garçons costauds, immigrés, etc). 5 - Préparer l’emménagement Préparez soigneusement l'entrée dans le bâtiment. Comme cela a déjà été dit, il ne faut en aucun cas faire d'effraction, c'est à dire que rien ne doit être cassé au moment d'entrer dans les lieux, ni serrure, ni fenêtre, ni vitre, ni mur... Heureusement, souvent les bâtiments abandonnés peuvent s'ouvrir sans effraction, soit par négligence du propriétaire, soit parce que l'accès a été ouvert par des visiteurs précédents. Dans le cas de l'Impasse Saint Claude, nous sommes entrés dans la cour du 80, rue de Turenne, qui est occupée et ouverte au public en journée. Dans cette cour, une petite grille enfoncée donnait accès à la cave, et par un système de souterrain nous avons retrouvé l'accès au bâtiment de derrière, 4000m² inoccupés depuis 10 ans. Une fois à l'intérieur, par contre, nous nous sommes empressés de placer un cadenas sur la grille pour éviter d'être délogés ! Pour obtenir le lancement du procès qui vous permettra de rester plusieurs mois, il faut passer une première semaine sans vous faire repérer par le propriétaire ou par la police. Cette période s'appelle le « sous-marin ». Lors de la première visite de la police, il vous faudra prouver votre présence dans les lieux depuis au moins huit jours. Les preuves de votre présence sont avant tout la quantité d'affaires que vous aurez installées, et les traces de vie : provisions entamées, vaisselle sale, toilettes utilisées, lits défaits, poubelles pleines, bougies fondues... Dans la mesure où il vous faudra réduire au maximum, voire supprimer toute entrée ou sortie du bâtiment pendant ces huit jours cruciaux, vous devez préparer toutes les affaires de l'installation et du sous-marin avant l'entrée dans les lieux. Prévoyez le couchage, la nourriture, la vaisselle, de quoi faire cuire les aliments, des outils pour les travaux d'urgence, un nécessaire de toilette, une trousse de premiers soins, des affaires de ménage... Bien entendu, le risque d'expulsion est présent, surtout au début. Donc n'apportez pas le service à vaisselle de votre grand-mère. Si besoin, allez faire un tour chez Emmaüs ou dans votre grenier pour rassembler des vêtements, petits objets personnels, vaisselle, radio portable, posters... dont vous pourriez vous séparer sans regret. Si l'entrée dans l'immeuble peut être utilisée sans se faire remarquer, il peut être utile de faire des allers et retours en camion pour rapporter plus d'affaires. Lors de la réquisition de Montparnasse, une vingtaine d'allers et retours en camion ont été faits pour ramener de plus en plus d'affaires : canapés, sommiers, bureaux, tables, armoires, ordinateurs, imprimantes, et même un baby-foot ! Il peut être utile de préparer une réserve d'affaires et de meubles prêts à apporter pour améliorer l'installation. Parfois, il y a encore l'électricité branchée et l'eau, parfois même le téléphone ! Certains sous-marins sont plus confortables que d'autres... Après le sous-marin il faut en revanche signer des contrats pour l'électricité, le téléphone et l'eau : lorsqu'on ne paie pas de loyer, on peut se permettre de payer les charges. De plus il en va de la crédibilité militante de votre réquisition. Les citoyens ne volent pas, et ne volent surtout pas l'Etat. 6 – Entrer dans le bâtiment La pire des stratégies est d'entrer la nuit, cagoulés. Vous êtes sûrs de vous faire repérer, arrêter, et de passer la nuit au poste. Il faut au contraire entrer le jour, en semaine, à visage découvert. Habillez-vous en costume cravate avec attaché-case, ou en bleu de travail avec casque de chantier, garez le camion devant l'immeuble, et poussez la porte comme si tout était normal. Faites entrer les filles en premier, elles ne se montreront plus avant la fin du sous-marin. Faites la chaîne pour faire entrer toutes les affaires rapidement. Le plus discret est de tout ranger dans des cartons. Si vous vous y prenez bien, personne ne remarquera rien de bizarre. Si un voisin vous pose une question, vous n'êtes qu'un subalterne qui fait son travail, envoyez-le vers un numéro de téléphone censé répondre à ses questions. Une fois entrés, tout de suite poser des serrures pour être chez soi et ne pas se faire envahir. Le propriétaire ne doit pas entrer sans être accompagné d'un Officier de Police Judiciaire. Attention aussi aux invasions par des squatteurs. Rapidement faire installer un contrat EDF ou le contrat pour l’eau. Ce sont les preuves de votre entrée dans les lieux, à faire valoir lorsque vous recevrez la première visite de la police. Les services d'eau, d'électricité et de téléphone n'ont pas besoin de savoir que vous êtes en train de réquisitionner un bâtiment. Leur travail est de brancher, et si vous payez ils ne posent pas plus de question. D'ailleurs très souvent les agents rencontrent les mêmes problèmes de logement, et ils soutiennent les réquisitions, ne serait-ce qu'en s'abstenant de faire du zèle. Condamnez tous les accès par où vous pourriez être vus par le voisinage. N'allumez pas la lumière, ne faites pas de bruit. Ces précautions sont essentielles et méritent d'être soignées. Ce sont souvent les voisins qui préviennent la police ou le propriétaire. Lorsqu'ils voient un bâtiment abandonné pendant dès années soudainement habité sans qu'il y ait eu des travaux préalables, ils prennent peur et risquent de vous dénoncer. De plus, la médiatisation actuelle des occupations, si elle rallie énormément de gens à notre cause, donne aussi à certains esprits obtus l'idée que le squat est possible. Ils peuvent donc avoir plus de méfiance. Mais si vous vous y prenez bien, personne ne se doutera de rien, et vous passerez la semaine sans encombre. Mettez en place des tours de veille afin de ne pas être pris au dépourvu par une visite inopportune. Ça y est, vous avez pris le bâtiment ! Savourez votre succès... Mais cette aventure incroyable se paie d'une relativement grande précarité. Pour l'instant, l'occupation est clandestine, et la police peut débarquer d'un moment à l'autre et vous expulser dans l'heure. Une fois le commissaire passé et la procédure judiciaire lancée, vous serez tranquilles pour plusieurs mois. Mais pour l'instant, il faut être à l'affût du moindre bruit, aux aguets pour éviter de se faire voir. Cette situation est excitante mais lourde de pression psychologique. Il est important de rester en groupe, car une personne isolée peut paniquer et perdre son sang-froid. Rassurez-vous, faites de la relaxation, des travaux calmes... Vous avez une semaine devant vous sans sortir d'un bâtiment : vivez-le comme une retraite, prenez le temps de réfléchir, d'écrire... Je suis d'ailleurs actuellement en sous-marin lorsque j'écris ces lignes ! 7 – Rapports avec le propriétaire Lorsque le propriétaire s’aperçoit de la présence des réquisitionnaires, le plus souvent prévenu par des voisins, il vient la plupart du temps lui-même voir ce dont il retourne. Dans tous les cas, ne pas laisser entrer le propriétaire. Vous êtes chez vous. Il faut le recevoir très poliment, et avant tout le rassurer : vous n’êtes pas des squatteurs, vous avez juste réquisitionné son bâtiment, vide, pour y loger, vous ne faites aucune dégradation. Proposez-lui de lui payer un loyer, de rénover son bâtiment, gratuitement, et de partir lorsqu'il voudra le récupérer pour en faire quelque chose de précis. Il a tout avantage à traiter avec vous : son bâtiment qui ne lui rapportait rien va gagner de sa valeur, il va être certain de ne pas être squatté, il va passe aux yeux de la presse pour un propriétaire progressiste et généreux ! Si toutefois le propriétaire n’est pas content, ce qui a tout de même de fortes chances d'arriver, dites-lui qu’il peut payer un huissier, et payer les frais d'une procédure civile contre vous. Il passera aux yeux de la presse pour un propriétaire ultra réactionnaire et égoïste, et s'il perd la procédure, il devra encore payer pour vous dédommager. Parfois le propriétaire ne s'aperçoit pas que son immeuble est occupé, et personne ne prend la peine de le prévenir. Il arrive qu'il se passe deux, trois mois sans que le propriétaire ni ses envoyés ne se présentent. Il est alors possible de contacter soi-même le propriétaire pour l'informer que son bâtiment est réquisitionné. Histoire de mettre les choses au clair et de le prévenir que vous n'êtes pas des squatteurs sauvages mais des personnes responsables. Toutefois, avant de prévenir le propriétaire ou la police, assurez-vous que vous avez bien rassemblé les preuves de votre installation dans les lieux depuis un temps suffisamment long. Il arrive que le propriétaire réagisse de manière violente. Comme dans toute catégorie de population, il y a des propriétaires obtus qui n'hésitent pas à employer la manière forte pour se débarrasser des gêneurs. Si vous voyez débarquer en pleine nuit une dizaine de brutes armées de barres de fer qui essaient de rentrer chez vous, ne vous inquiétez pas : c'est certainement votre propriétaire qui les a envoyés. Que faire ? Si vous n'avez pas envie ce soir-là de vous battre, appelez la police. Le plus souvent, le simple fait de parler de la police suffit à faire fuir les intrus : ils n'ont pas envie de finir au poste vue leur maigre rétribution, lorsqu'ils ne sont pas tout simplement sans-papiers ! Si votre réquisition est déjà officialisée auprès de la police, celle-ci vous protège en principe contre une violation de domicile, au même titre que n'importe quel bon citoyen. Si la police n'est pas au courant de votre réquisition, c'est encore plus simple : elle ne peut pas deviner que vous ne payez pas de loyer et interpellera tout simplement les intrus sans poser de question. A l'inverse, il est parfois possible de s'entendre avec un propriétaire intelligent. De toute évidence, un bâtiment réquisitionné par des mal-logés coûte moins cher en entretien et en gardiennage que s'il lui fallait payer un gardien. Une fois qu'il a décidé de déclencher une procédure contre vous, le propriétaire envoie un huissier. L'huissier se contente de relever le nombre de personnes présentes lors de sa visite, et les biens matériels (matelas, meubles, électroménager...), sans s'attarder sur les détails. Il établit un constat décrivant en gros l'occupation. Une fois cette visite effectuée, la réquisition est sécurisée d'un point de vue légal, c'est à dire qu'il est impossible de vous expulser avant la fin du procès et du délai donné par le juge, sauf bien sûr en cas d'urgence ou de danger manifeste. 8 – Rapports avec le commissariat Le commissariat est censé défendre la loi, c’est-à-dire y compris la propriété privée. Mais il est surtout attaché à éviter tout trouble à l’ordre public. Le plus urgent est de rassurer les policiers lorsqu’ils se présentent à vous : vous souhaitez occuper paisiblement les lieux, vous ne faites pas de bazar, vous n’êtes pas des drogués ni des voyous ni des marginaux. Vous êtes juste en galère, un peu comme les policiers finalement ! eux non plus ne gagnent pas grand chose et ne peuvent pas se payer d’appartement en centre-ville… Les propriétaires ont des droits, certes, mais les habitants aussi, même s’ils ne paient pas de loyer. En particulier, ils ne peuvent être expulsés sans procès. Il est important d'entretenir de bonnes relations avec le commissariat, de montrer patte blanche en leur donnant la liste de tous les habitants, avec nom, prénom, date et lieu de naissance. Vous pouvez faire visiter les lieux aux policiers pour qu'ils voient votre installation : plus c'est propre, organisé, agréable, plus ils auront envie de vous soutenir. Donnez le numéro de téléphone d'un d'entre vous pour qu'ils vous contactent au moindre problème. De même, noter précisément le numéro de téléphone du commissariat du quartier pour les appeler en cas de problème : si des squatteurs mal-intentionnés veulent entrer chez vous, un simple coup de fil au commissariat et vous en serez débarrassés ! Attention, depuis le 6 mai 2007, on constate à Paris une modification non négligeable de l'attitude policière à l'égard des squatteurs, et particulièrement des réquisitionneurs. La présidence conquérante des premiers mois du Sarkozysme, puis la présidence parano des mois suivant le retournement de cote de popularité, instaurent dans le milieu policier une tension palpable à l'égard de tout ce qui peut potentiellement déstabiliser le pouvoir. La Ministre de l'Intérieur et le Préfet de Police de Paris ont régulièrement des réunions au sommet pour déterminer leurs priorités en terme de sécurité. A chaque fois, le contrôle des « terroristes d'extrême gauche notamment issus du milieu des squats » arrivent en bonne position. Mais comme cette catégorie de personnes ne court tout de même pas les rues, les forces de l'ordre ont légèrement tendance à placer toute sorte d'occupation politique dans cette catégorie... Le tout est d'éviter que la préfecture ne prenne en charge votre dossier. Alors que les commissariats de quartier sont là pour maintenir la paix, et n'ont pas envie de se créer des problèmes avec le voisinage, la préfecture en revanche ne lésinera jamais sur les moyens à mettre en œuvre pour « crever l'abcès », si elle sent que votre occupation dérange le pouvoir en place. Une stratégie qui porte ses fruits consiste donc en la suppression de toute référence à un combat politique dans les premiers temps de la réquisition. Dans les premiers contacts avec la police, insistez sur le fait que vous êtes juste en galère, que vous voulez juste vivre ici et ne déranger personne. Ainsi le commissariat gardera le dossier en charge et la préfecture s'occupera d'autre chose. Une fois l'huissier passé, et la procédure judiciaire lancée, la loi vous protège, même contre la préfecture. C'est le moment d'officialiser votre réquisition : conférence de presse, prises de positions sur la politique du logement, affichage des soutiens politiques et people... 9 – Les voisins Entretenir de bons rapports avec le voisinage est absolument essentiel. Un voisinage hostile vous fera expulser en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Les voisins mécontents feront pression sur les élus locaux pour obtenir votre départ. Ainsi, à l'impasse Saint-Claude, la gardienne de l'immeuble a réussi à monter tous les habitants du quartier contre les réquisitionneurs, et malgré nos efforts pour calmer les voisins et les convaincre que nous n'étions aucunement une nuisance, elle a obtenu notre expulsion. Il faut à tout prix éviter les nuisance sonores, surtout dans les premiers temps de l'occupation. Ni soirée, ni travaux après 17h, ni musique trop forte. Attention aux murs mitoyens qui sont parfois particulièrement fins. Lorsqu'un voisin vous dit qu'il vous entend parler dans votre cuisine, il est grand temps d'isoler cette paroi de façon sérieuse, avec des boîtes d'œufs par exemple, et de limiter au maximum le bruit dans cette pièce. Évitez également les attroupements devant la porte qui gênent les voisins et leur font peur. Demandez aux amis qui vous rendent visite de dégager rapidement les lieux sous peine de voir débarquer à coup sûr un policier prévenu par les voisins. A l'impasse, afin d'éviter les nuisances aux voisins, le propriétaire parano et harcelé par la gardienne, a été jusqu'à payer une entreprise de sécurité pour placer un maître-chien en permanence le week-end devant notre porte d'entrée, soit-disant pour empêcher aux non-habitants de pénétrer dans les lieux. Heureusement, nous sommes rapidement devenus amis, et il n'est pas rare qu'ils viennent prendre un verre avec nous, discuter, recharger leur portable ou aller aux toilettes chez nous, plutôt que chez la gardienne... Si un voisinage hostile peut mettre en péril votre réquisition, en revanche un voisinage allié constitue un argument extrêmement puissant pour obtenir la bienveillance du commissariat local, et des délais auprès du juge lors du procès. Il est important de nouer des liens avec les associations de riverains, les commerçants, les enfants, les retraités... Il est impératif d'aller vers les voisins, dès que votre présence est découverte. L'information « qu'il y a des squatteurs » va faire le tour du quartier dans l'heure, et il est important de couper court immédiatement à la psychose. Ne pas hésiter à aller discuter avec eux, se présenter, insister sur votre situation difficile, sur le scandale que représentent les bâtiments vides... Les voisins, surtout dans les quartiers un peu chics, ne voient pas d'un bon œil l'arrivée de jeunes en difficulté financière. Il n'ont pas pitié de vous, donc habillez-vous bien pour aller les voir, et jouez plutôt sur l'identification : vous êtes des travailleurs comme eux, vous vivez honnêtement, mais les loyers sont devenus fous, et la seule solution est de réquisitionner. Il faut faire une étude sociologique du quartier afin d'optimiser votre stratégie de séduction. Quartier populaire, forte population immigrée ? Vous réquisitionnez pour permettre à la mairie de racheter pour faire du logement social. Quartier bobo ? Vous voulez mettre en place des activités culturelles. Quartier UMP ? Vous squattez pour pouvoir lancer votre micro entreprise et gagner suffisamment d'argent pour payer votre loyer sans dépendre de l'Etat. Posez-vous la question de ce que la population attend pour son quartier : du logement ? Des services aux enfants ? Aux anciens ? Un bar associatif ? Des activités culturelles, économiques ? S'il faut ouvrir un cinéma de quartier, ouvrez un cinéma de quartier. S'il faut faire de l'aide aux devoirs, des cours de Word ou Excel pour les anciens, voire de l'accompagnement social, cela vaut vraiment le coup de mettre les moyens pour que le voisinage ressente une plus-value avec votre présence. Et dès que les lieux sont présentables, invitez le quartier à boire un verre chez vous ! C'est la philosophie des Macaq : « on prend un bien de façon temporaire à un propriétaire négligeant, donc en retour il faut donner à la société, sous forme de services ». Il s'agit aussi de mettre en lumière le manque à gagner social des bâtiments laissés vides. 10 – Les travaux d’aménagement Une fois la situation apaisée, et l’ouverture officialisée, commencent les travaux d’aménagement. Les travaux sont également une façon très importante de prouver votre bonne foi. D’abord, le plus urgent : remettre en service, si c’est nécessaire, le circuit électrique, le circuit d’eau. Se faire aider par des amis compétents : un immeuble réquisitionné n’a pas d’assurance, donc il faut à tout prix, pour votre sécurité et pour votre crédibilité, sécuriser et remplacer s’il le faut, les installations. A l'impasse, toute une partie de l'immeuble, sous une verrière vétuste, représentait un danger. Notre premier geste a été de sécuriser cet espace en en condamnant tous les accès possibles. Un accident dans un bâtiment réquisitionné, et c'est l'expulsion immédiate assurée. La plupart des bâtiments abandonnés depuis des années comportent de grosses dégradations liées aux dégâts des eaux. A Rio, par exemple, magnifique immeuble haussmanien du huitième arrondissement, une simple gouttière à moitié bouchée par des feuilles était en train de défigurer toute la cage d'escalier en pierre de taille, un peu plus à chaque pluie depuis dix ans. Nous avons juste eu besoin de nettoyer la gouttière pour stopper les infiltrations et commencer à réduire l'humidité du bâtiment. Les dégâts étaient trop importants pour pouvoir les réparer, mais au moins nous avons empêché qu'ils ne progressent. A l'impasse Saint Claude, même chose : une simple fuite dans la tuyauterie, non réparée parce que les accès à cette partie du bâtiment étaient tout simplement murés (!), détruisait depuis cinq ans les murs, les plafonds, les beaux parquets, sur quatre étages en dessous de la fuite. Là encore, la réquisition a permis d'arrêter les dégâts et de sauver dans une certaine mesure des bâtiments vieux de plus d'un siècle, mais négligés par leur propriétaire. Une fois les travaux de sécurisation opérés, il faut penser à la tranquillité des habitants. Poser une grosse serrure à la porte d’entrée (souvent celle que l'on pose au début est une serrure à prix discount, il faut la remplacer), avec digicode si possible ! Une serrure à chaque étage ou unité de vie, et une serrure à chaque chambre. A la différence du squat, dans un bâtiment réquisitionné, on est chez soi... Par contre, c'est important de laisser un double de chaque pièce en sécurité, en cas de besoin urgent. Ensuite, dégager les gravats éventuels (vous pouvez commander une benne à ordure à la Mairie), décaper les murs, réenduire, repeindre. Parfois, il y a besoin d'un coup de peinture d'urgence (pour effacer les tags...), quitte à repeindre plus tard pour obtenir le rendu voulu. Suivant l'immeuble, il peut y avoir besoin de faire du ciment pour boucher des gros trous, de construire des cloisons voire des murs, de placer des portes... Attention, il est impératif de faire ces travaux proprement, pour ne pas pouvoir être accusés d'avoir dégradé le bâtiment. Bien sûr, les travaux des réquisitionneurs améliorent les lieux plus qu'ils ne les dégradent, mais les propriétaires sont parfois d'une mauvaise foi à toute épreuve ! N'hésitez pas à faire les travaux dont vous avez besoin. De toute façon, lorsqu'un bâtiment est vendu, le plus souvent tout est détruit, saufs les murs porteurs et les planchers, pour tout refaire à neuf. Ne négligez pas les travaux d'isolation : souvent, dans les immeubles qui ont de l'âge, l'isolation laisse à désirer, et alors la note de chauffage crève les plafonds ! De la mousse expansive pour boucher les fuites, du double vitrage en plastique souple, de l'isolation de murs avec des couvertures, si vous n'avez pas le courage de mettre de la laine de verre et du placo ! Les lieux doivent être agréables et beaux. Vous avez enfin le droit de peindre votre chambre comme vous voulez, profitez-en. Mais attention, la finalité de ces lieux est tout de même d'être montrés aux caméras et aux officiels qui viendront vous rendre visite, donc gardez une déco relativement consensuelle. Enfin, emménagez. Récupérez gazinière, frigo, machine à laver, canapé… à Emmaüs ou même aux encombrants, on en trouve plein de très bien. Les plans récup, ça ne manque pas ! contactez les Macaq au cas où... L'avantage d'une réquisition est qu'on ne manque en général pas de place. Et comme à Paris tout le monde en manque, on peut récupérer des affaires facilement ! 11 – La vie quotidienne Réquisitionner un bâtiment, c'est de la rigolade ! Maintenant commence le véritable travail, c'est celui de parvenir à conserver un fonctionnement interne constructif entre les habitants du lieu. L'organisation de la vie d'un squat relève d'un art qu'il n'est pas donné à tout le monde de maîtriser... La vie en commun comporte des contraintes, mais la réquisition comporte des spécificités que nous allons tenter de résumer. Organiser le budget : tout le monde doit participer aux frais communs : charges, internet, travaux communs, serrures et clés, avocat, etc. Comme dans une copropriété, il y a des dépenses à assumer collectivement. Or, très souvent, certains habitants n'ont pas de ressources financières ou pas suffisamment pour payer les dépenses d'aménagement des espaces communs du lieu. Il y a alors un débat entre les habitants, pour décider de la somme à dépenser. Les plus à l'aise n'ont pas à imposer aux plus fauchés de payer des éléments de confort communs, comme repeindre les escaliers, installer internet... Mais en revanche, il y a des dépenses incompressibles, comme l'avocat, les charges, les travaux de sécurisation (extincteurs...). Dans la mesure où ces dépenses, si elles ne sont pas faites, risquent d'entraîner l'expulsion, les personnes qui ne peuvent pas payer leur part de ces frais peuvent être considérées comme n'ayant pas leur place dans le bâtiment. Évidemment, on n'est pas des brutes, il s'agit de considérer la situation particulière de chacun. Si la personne est en difficulté financière momentanée, qu'elle fait des efforts pour s'en sortir, alors le reste du groupe peut faire un effort commun et payer le complément. Mais attention, ces situations d'inégalité compliquent les rapports entre les habitants. Certains comportements mettent en péril la sécurité du lieu. Fanfaronnade devant la police, provocations du voisinage, nuisances, fêtes trop bruyantes, présence ou consommation de produits illicites, comportement agressif ou violent, la réalisation de dépenses inutiles sur les frais collectifs, la conquête des espaces des autres, le fait d'inviter des amis à venir dormir dans le bâtiment, pour quelques nuits puis définitivement... La vie à la bordure de la loi donne à certains un sentiment de liberté et de toute-puissance, qui pousse à dépasser les bornes. Il est important d'être très ferme sur ces fautes graves. Il est possible de rédiger un « règlement intérieur » de l'immeuble réquisitionné, qui définisse l'utilisation des espaces et les comportements adaptés. Lorsque chaque habitant a signé ce document, il est plus facile de le faire respecter, voire d'exclure une personne qui se montre incapable de s'y tenir. Mais très souvent la fibre libertaire des squatteurs les fait rechigner à utiliser de tels moyens. Pourtant c'est un rempart contre les dérives et cela permet d'éviter d'en venir à la pression pour régler les problèmes. La vie en communauté ne nécessite pas seulement l'investissement financier et le respect de la discipline : un investissement en temps et en énergie est également nécessaire. Travaux, déménagements, ménage, poubelles, encadrement des soirées... Dans une « colocation » à vingt personnes, il est indispensable que chacun s'investisse ou sinon la situation devient très rapidement ingérable. Là encore, il est tentant d'essayer de s'organiser sans avoir à passer derrière chacun et noter ce qu'untel ou untel fait ou ne fait pas. Mais l'expérience montre que plus le nombre de personnes vivant ensemble est important, moins l'auto-discipline fonctionne. Il est beaucoup plus facile de se dire « quelqu'un d'autre s'en occupera » quand on est vingt-cinq que quand on est trois. Finalement, il est utile de faire des tableaux où chacun a une tâche précise à effectuer régulièrement. Ça fait un peu « colonie de vacances », mais c'est simplement de l'organisation et de la transparence. En ce qui concerne l'attribution des espaces, il est important de répartir les habitations en fonction des rythmes et non pas en fonction des affinités. Ceux qui se lèvent tôt ensemble, ceux qui se couchent tard ensemble, une pratique courante chez les squatteurs consiste à attribuer les espaces selon la règle du premier arrivé, ou de celui qui crie le plus fort. Pour éviter cela, il est important d'attribuer au plus tôt les espaces, en fonction des besoins réels de chacun. La responsabilité de la répartition doit être confiée à une personne neutre. Finances, discipline, investissement, répartition des espaces, toutes ces questions sont source de conflit. Mais si vous arriver à les régler de façon pacifique et satisfaisante pour tout le monde, alors la vie en communauté est un vrai bonheur ! On ne s'ennuie jamais, il y a toujours quelqu'un avec qui discuter, quelqu'un à découvrir, et toujours des gens nouveaux qui passent, et qui apportent leur vécu, leur réflexion, leur sensibilité... Parvenir à ouvrir et à faire fonctionner un lieu collectif tel qu'une réquisition citoyenne est un défi qui suscite l'intérêt de beaucoup de gens. Enfin, il faut tout de même dire un mot sur un aspect non négligeable de la vie en communauté : les rapports amoureux. Déjà, on peu tordre le cou à une idée reçue : la vie en collectivité ne favorise pas la communauté sexuelle, c'est même plutôt l'inverse. L'existence d'une vie de groupe intense et d'une proximité permanente rend la vie dure aux relations intimes. Au moindre soupçon de connivence entre deux personnes, tout se sait dans le groupe, et finalement plus personne n'ose rien tenter tant le regard des autres est présent. Les relations internes au groupe sont rares, et toujours très discrètes. Les relations externes sont souvent éphémères, car il est difficile pour la personne extérieure de s'intégrer au groupe tout en étant « la copine de » ou « le copain de ». De l'autre côté, le temps qu'une personne du groupe passe avec une personne extérieure est parfois perçu comme une « infidélité au groupe » (bien que ce ne soit jamais formulé comme tel). 12 – Les médias Une fois l’aménagement terminé, c’est le moment d’inaugurer votre réquisition. Une réquisition ne doit pas rester confidentielle, c’est avant tout un acte politique et militant. La désobéissance civique ne se justifie que dans la mesure où on réclame la modification de la loi, en l’occurrence le droit pour les citoyens d’appliquer la loi de réquisition lorsque l’Etat ne le fait pas. Mais attention : on n’invite pas n’importe quels médias ! certains sont avec nous, ils n’ont en général presque pas d’audience. Certains sont contre nous. D’autres enfin peuvent vous soutenir si vous savez leur faire comprendre l'intérêt de votre réquisition. Ce qu'il faut dire : « Nous sommes tous en galère, nous avons cherché pendant des mois et des mois à nous loger normalement, nous n'avons pas réussi parce que les loyers sont trop chers et que les propriétaires demandent trop de garanties. Nous sommes des citoyens respectueux de la loi, nous n'aurions jamais pensé squatter un jour le bien d'autrui. C'est la situation d'urgence dans laquelle nous étions qui nous a obligés à le faire. Nous voulons un logement social. Nous travaillons tous pour vivre. Mais aujourd'hui, travailler ne permet plus de se loger. Nous avons occupé un bâtiment qui ne nous appartient pas, mais qui était à l'abandon depuis tant d'années. Visiblement, le propriétaire n'en a pas besoin. C'est une sorte de recyclage. Nous avons fait beaucoup de travaux pour réparer, sécuriser, améliorer, aménager l'immeuble. Il est si facile de transformer un bâtiment vide en logements qu'on ne comprend pas pourquoi ils le laissent vide en période de pénurie de logement. On ne comprend pas non plus pourquoi l'Etat n'applique pas la loi de réquisition. Nous voulons être intégrés dans le quartier. Nous expliquons aux voisins notre situation et nous faisons tout pour ne pas les déranger. » Ce qu'il ne faut pas dire : « Nous, de toute façon, on n'a jamais rien fait comme les autres. On est contre l'ordre, le travail, l'Etat, la loi, la propriété. Squatter est pour nous un moyen de vivre sans travailler, et de faire chier les bourgeois. On espère qu'en les emmerdant de plus en plus, ils vont finir par nous donner de plus en plus leur argent, pour avoir la tranquillité. Notre ambition est de prendre tous les bâtiments des riches, et finalement d'abolir la propriété. La crise du logement est pour nous un moyen de légitimer le squat, un moyen de rendre populaire une démarche d'appropriation égocentrique. Ceux qui paient leur loyer et travaillent nous font rire : ils n'ont qu'à squatter ! Tant que tout le monde continuera à payer un loyer, on ne gagnera pas. Mais attention : si trop de monde se met à squatter, la police sera moins tolérante, donc il ne vaut mieux pas que tout le monde se mette à squatter, sinon on ne pourra plus le faire. Comme on déteste le propriétaire, on fait ce qu'on veut de son immeuble : on a cassé des murs, tout repeint avec des couleurs bariolées, au couleurs de notre révolte ! On se fiche des voisins, de toute façon, on est déjà en procès. Donc on organise des fêtes toutes les semaines et on invite nos potes. » Là, c'est de la caricature, évidemment. Mais il n'est pas rare de rencontrer des journalistes qui viennent chercher ce type de discours, et qui vont faire parler tous les habitants un par un jusqu'à en trouver un qui va lui parler comme ça, par griserie d'être devant la caméra. Les journalistes savent très bien faire semblant d'être séduits par l'attitude contestataire, et poser les questions qui vont appeler telle ou telle réponse croustillante. Mais au montage, ils suppriment tout ce qui ne va pas dans le sens du message qu'ils veulent faire passer. Il est donc très important que tout les habitants de l'immeuble réquisitionné soient entraînés à déceler chez le journaliste ce type d'attitude. Lorsqu'un journaliste comme celui-là est repéré, il faut lui dire immédiatement d'arrêter de prendre du son et des images, et lui expliquer que son attitude est méprisable et anti-professionnelle. Ce n'est pas une question de liberté de conscience du journaliste. Dans tous les cas il pourra faire le montage qu'il souhaite. Mais lorsqu'un journaliste manipule un interviewé, il n'est plus dans une démarche de recherche d'information, mais dans une stratégie de construction de discours, c'est à dire de manipulation de l'opinion. Si un journaliste se montre trop anti-professionnel, vous pouvez faire valoir votre droit à l'image pour empêcher la publication des contenus. La construction du discours passe par les paroles, mais aussi énormément par les images. Il est capital de ne pas laisser à la portée des journalistes des images susceptibles d'être utilisées contre vous. Espaces sales ou abîmés, tout ce qui peut évoquer, même à tort, un non-respect matériel. Attention aussi au matériel de valeur : la tentation est parfois grande d'accuser les réquisitionneurs de ne pas être « des vrais pauvres », c'est à dire d'être des profiteurs. Lors d'un reportage paru sur un site web, les commentateurs ont débattu pendant des heures à propos d'un appareil photo hors de prix qu'ils ont aperçu sur une photo prise dans une chambre d'un immeuble réquisitionné. En fait, c'était tout simplement l'appareil photo de l'un des journalistes ! Parfois le journaliste ne fait pas exprès de donner à voir des éléments qui dévient la réception de l'information. Il faut que les lieux soient propres et agréables, pour éveiller l'intérêt des journalistes : un squat bien tenu, c'est extraordinaire (selon eux) ! Mais qu’on puisse quand même vous plaindre un peu, sinon le reportage ne dénonce rien, si ce n'est vous. Bien insister sur le fait que vivre en réquisition suscite des dépenses financières, que ce n'est pas gratuit. Et évidemment c'est une insécurité vis à vis de la loi et moralement c'est difficile à assumer. Il ne faut pas oublier de dire que votre bâtiment est complet : sinon, des centaines de squatteurs viendront frapper à votre porte pour se faire héberger après vous avoir vus à la télé... Attention, trop de médiatisation met en péril votre réquisition. Lorsqu'un bâtiment cesse d'être un simple témoin de la lutte contre la crise du logement, pour en devenir un symbole, il devient gênant pour la préfecture. Même si vous êtes déjà en procédure et que vous ne pouvez pas être expulsés, la préfecture peut hâter le procès, influencer la décision du juge, et même faire une expertise qui atteste la dangerosité des lieux, pour faire évacuer précipitamment l'immeuble. Un autre moyen consiste à évacuer pour cause de nuisances de voisinage, en prenant appui sur une seule déclaration d'un voisin de mauvaise foi. 13 – Les politiques Les politiques peuvent être un soutien très puissant au moment du procès et surtout une fois l’avis d’expulsion tombé. Les politiques sont friands de visibilité lorsque cela peut améliorer leur image. La plupart des élus de gauche, mais aussi certains élus du centre, peuvent avoir un intérêt à s’afficher en soutien à une réquisition citoyenne, à condition que vous ayez su vous présenter en gens responsables et politisés (de leur côté). Les maires surtout peuvent vous soutenir dans la mesure où ils ont un énorme besoin de bâtiments pour y faire du logement social. Un bâtiment occupé se rachète pour beaucoup moins cher qu’un bâtiment vide. Les maires peuvent faire valoir leur droit de préemption qui leur donne la priorité sur tout autre acheteur. Ainsi, lors de la réquisition du 24 rue de la Banque, en face de la Bourse, le maire (vert) Jacques Boutault, a apporté très tôt son soutien au Ministère de la Crise du Logement. Cela a poussé le juge à ne pas condamner les habitants à payer des indemnités d'occupations. Pendant toute la campagne présidentielle, en période où l'immeuble était expulsable, les responsables politiques ont tour à tour exprimé leur soutien au bâtiment : Dominique Voynet, Olivier Besancenot, Marie-Georges Buffet, José Bové, et Ségolène Royal. Par le biais de Gauthier Caron-Thibaut, conseiller PS de Paris, le rachat du bâtiment par la ville a pu être négocié peu après l'élection présidentielle. Le succès de cette opération facilite le renouvellement de ce « partenariat » entre la Mairie de Paris et Jeudi-Noir. La recherche de soutiens politiques se situe dans la logique de la réquisition, et s'avère indispensable pour pérenniser un lieu réquisitionné. Nouer des liens avec les politiques est un travail parfois ingrat : sur un sujet délicat comme la réquisition, ils ont une inertie et une difficulté à s'engager impressionnante. Lorsque vous les sollicitez, ils cherchent souvent un moyen de se débarrasser de vous sans vous froisser, et commencent à décrire la complexité de la situation et à vous promettre qu'il vont y réfléchir. Tous les élus ne sont pas des cyniques uniquement préoccupés de leur réélection et de ne pas froisser les électeurs. Certains osent prendre des risques pour défendre ce qu'ils pensent être l'avenir. Mais un bon nombre n'est pas habitué aux démarches de désobéissance, et ils pensent, avec raison d'ailleurs, que cela peut nuire à leur image. Il est donc indispensable, pour les aider à s'engager, de travailler à soigner votre image médiatique et politique. Sans devenir moins pertinent ni tiède, travailler à se faire considérer comme crédible et digne de confiance, auprès des médias comme auprès des élus, est simplement la condition de possibilité de la lutte. Il ne s'agit pas de choisir entre la radicalité ou la tiédeur, mais d'adopter une attitude constructive et pas seulement protestataire, sans pour autant trahir son discours. Lorsque vous arrivez à plaire aux médias, à les mettre de votre côté et à obtenir de manière quasi-systématique une couverture qui vous valorise, alors vous commencez à représenter un intérêt pour les politiques. Il ne s'agit pas d'être instrumentaliser ou manipulés, mais la prise de position comporte des risques objectifs pour un élu. Si vous lui donnez la possibilité de gagner en terme d'image, c'est une aide et un encouragement pour lui à s'engager et à vous soutenir. Le soutien des politiques n'est pas un pacte avec le diable, ou une perte d'indépendance, mais une collaboration dans l'intérêt des deux parties. Bien évidemment, plus ce que vous proposez intéresse l'élu, plus il sera intéressé pour vous appuyer. Un collectif comme Jeudi-Noir, qui utilise les politiques autant qu'il est utilisé par eux, n'a aucune hésitation à créer des liens avec les élus de droite. Rendez-vous avec Borloo, Pécresse, Boutin, soutien des jeunes du Modem ou du Nouveau Centre... Jeudi-Noir pratique l'ouverture, et s'évertue à critiquer les ministres qui le reçoivent, tant qu'ils ne prennent pas clairement position en faveur de nos revendications. 14 – Le procès Le propriétaire a envoyé un huissier constater l'occupation : il a relevé l'identité de chaque personne présente ou de chaque occupant si vous lui remettez une liste. L'huissier va revenir porter des « assignations à comparaître devant le tribunal d'instance » de l'arrondissement concerné. Le procès peut être « en référé », c'est à dire en urgence, voire en « référé d'heure en heure », si l'urgence menace des personnes. En gros, si le propriétaire dénonce une voie de fait, le procès peut être en référé. S'il dénonce une dangerosité du lieu, le procès peut être en référé d'heure en heure. Dans tous les cas, l'urgence est demandée par le propriétaire et peut être accordée ou non par le juge. En procédure normale, compter quatre à cinq mois entre le constat d'huissier et l'audience, en référé deux mois, en référé d'heure en heure, deux semaines. Il faut à tout prix vous mettre en contact avec un avocat dès le début de la préparation de votre réquisition. Si vous n'en avez pas, contactez Jeudi-Noir. Dès que vous avez reçu les assignations, il faut faire une demande d'aide juridictionnelle pour chaque personne assignée, et constituer un dossier comprenant : les contrats EDF, eau, télécom... des photos avant les travaux/après des photos de chaque pièce présentable du bâtiment et pour chaque occupant : une lettre au juge expliquant votre situation et demandant un délai avis de non-imposition demande de logement social justificatif de demande d'aide juridictionnelle livret de famille attestation RMI, assedic, contrat de travail, revenu parent isolé, cotorep, bref tout ce qui justifie de votre situation. Et un jour ou l’autre arrive le moment du procès. Il ne faut pas se leurrer, jamais un procès n’a donné raison à des réquisitionneurs, et ce n’est pas encore demain que ça arrivera. Le procès se conclut toujours par un arrêté d’expulsion, néanmoins il est possible d’obtenir des « petites victoires ». D’abord, le procès peut être reporté si la plainte du propriétaire est insuffisamment fondée. S'il ne peut pas présenter d'acte de propriété valable, si le constat d'huissier est invalidé. Ensuite il est possible d’obtenir un délai avant l’expulsion, ce délai varie entre deux mois et deux ans. Enfin, le juge peut décider ou non de condamner les occupants à payer des indemnités. Il faut savoir que si le juge condamne les occupants à payer des indemnités, alors le propriétaire peut se retourner contre la préfecture en cas de non-application de la décision d’expulsion. La préfecture est alors sommée de payer les indemnités à la place des occupants tant qu’elle ne procède pas à l’expulsion. Par conséquent, si le juge ne condamne pas les occupants à payer des indemnités, le propriétaire ne dispose d’aucun moyen de pression sur la préfecture. Or la préfecture a souvent plus urgent à faire que de déloger des habitants paisibles. Les amendes auxquelles les occupants sont éventuellement condamnés ne sont pas réclamées dans la mesure où l’occupant n’est pas solvable. Après cette première décision de justice, il est possible de saisir le JEX ou juge de l'exécution, qui est chargé d'aménager la peine retenue lors du procès. Attention, le recours au JEX ne suspend pas l'exécution de la décision d'expulsion. Compter un ou deux mois entre la décision de justice et l'audience au JEX. Il est également possible de faire appel. L'appel non plus n'est pas suspensif. 15 – L'expulsion A un moment, si vous n'avez pas réussi à faire racheter le bâtiment par l'Etat, cela doit bien arriver : lorsque tous les leviers juridiques, médiatiques et politiques ont été utilisés, l'autorité responsable, commissariat ou préfecture, décide d'en finir, et ordonne l'expulsion. Une fois la décision du juge transmise aux occupants par l'huissier et une fois le délai écoulé, l'huissier peut donner aux occupants un commandement de quitter les lieux, qui menace d'expulser si les habitants ne décampent pas avant un délai de quelques jours. Si les occupants ne partent pas le lendemain du dernier jour du délai, l'huissier doit procéder à une tentative d'expulsion, tout seul, avant de pouvoir demander l'intervention de la police. Mais parfois, l'huissier et le commissariat, ou directement la préfecture s'il s'agit d'une affaire traitée à ce niveau, se mettent d'accord pour expulser directement, sans prendre le temps de déposer une demande de recours à la force publique. Entre le commandement de quitter les lieux et l'expulsion, la police est censée faire une enquête sociale, pour juger si les occupants peuvent être mis à la rue ou s'ils doivent impérativement bénéficier d'un relogement. Les enfants en bas âge, les personnes invalides ou les femmes enceintes sont mentionnés dans l'enquête sociale. Mais très souvent cette enquête est bâclée, voire purement et simplement omise. Et lorsqu'elle est faite elle est rarement respectée. L'expulsion est obligatoirement faite en présence de l'huissier, qui doit présenter un avis d'expulsion. L'expulsion n'est pas autorisée après 22h et avant 6h. Elle a donc très souvent lieu à 6h pile. Lors de l'expulsion, l'huissier est censé faire l'inventaire de tous les biens des occupants, les faire déménager dans un garde-meuble, et les y stocker durant quelques jours, le temps que les occupants les récupèrent. Le plus souvent, le propriétaire autorise les occupants à prendre avec eux les affaires les plus importantes au moment de l'expulsion. 16 – Comment faire face à la triche du propriétaire ou des pouvoirs publics ? Parfois le propriétaire ou la police ne jouent pas le jeu légal. Il y a quelques années, ce genre de situations pouvait arriver, mais cela se réduisait à des cas isolés. Depuis l'été 2007, le virage autoritaire des pouvoirs publics ET des propriétaires a multiplié les cas de dépassement du cadre légal par la police. Le cas de la descente de gros bras envoyés par le propriétaire a déjà été abordé, dans la rubrique « rapports avec le propriétaire ». Solution : appeler la police. Chances de succès = 95% En cas d’expulsion illégale par la police, c'est à dire une fois le délai de cinq jours d'occupation dépassé, et avant une décision du juge, c'est déjà plus compliqué. Barricadez-vous le temps que votre avocat arrive, appelez les médias. Il faut être très au fait des législations, car l'officier chargé de l'opération ne reconnaîtra jamais qu'il est hors la loi. Soit il prétend que l'occupation est postérieure au délai des cinq jours. Dans ce cas, c'est à lui de le prouver. Il doit établir la preuve que vous n'habitiez pas le lieu cinq jours avant. Soit il prétend que l'occupation doit dater de plus de huit jours. Même chose, il doit apporter la preuve qu'elle est postérieure, et surtout il doit justifier d'une occupation par une « bande organisée » légitimant le recours à cette législation spéciale anti-terroriste. Soit il prétend expulser pour motif de sécurité. Il doit alors avoir dans les mains un état des lieux réalisé par un architecte mandaté par la préfecture spécifiant que les locaux en question sont impropre à toute utilisation. Seuls les locaux définis comme tels peuvent être expulsés. Mais la plupart du temps, l'officier qui expulse ne sait même pas au nom de quel motif il opère. Leur méconnaissance de la loi et leur totale confiance en les ordres de leurs supérieurs hiérarchiques leur fait agir sans se poser aucune question. Ils savent qu'ils sont couverts, et ne s'imaginent pas que des squatteurs puissent avoir raison contre eux. Il est très important de se battre pour le respect des procédures, même si cela n'aboutit quasiment jamais à une réintégration. Une victoire judiciaire contre la préfecture pour expulsion illégale peut la dissuader de recommencer. Parfois l'expulsion est légale, lorsqu'elle fait suite à une décision de justice et que tous les délais sont dépassés, mais elle ne se fait pas dans les formes requises. La police doit venir entre 6h du matin et 22h, accompagnée d'un huissier avec avis d'expulsion. Un inventaire des biens doit être effectué et ces biens doivent être placés en garde-meuble. En cas de non-respect des cadres juridiques, il faut porter plainte, alerter les médias, alerter la population du quartier, les élus, constituer des comités de soutien... Chances de succès = 20% En cas de procès démesurément sévère : faites appel, alertez les médias. Chances de succès = 5% En cas de loi anti-squat : changez de pays, ou faites la révolution !! Un moyen légal de mettre fin à une réquisition est parfois employé par les pouvoirs publics : c'est l'arrêté de péril. Il suffit à la préfecture d'envoyer un architecte effectuer une visite de sécurité dans un bâtiment occupé, et de s'arranger pour que l'architecte note un danger potentiel quelconque, pour autoriser une évacuation sans devoir s'encombrer ni de l'avis du juge ni de la présence d'un avocat. Le prétexte est très facile à trouver : les législations sur la sécurité sont si exigeantes que 80% des bâtiments parisiens, par exemple, pourraient être considérés comme dangereux. Une aération trop importante ou trop faible, une multiprise, une fissure, un mastic un peu vieux, des cartons dans un placard, une prise électrique dans une salle de bains... Peuvent suffire à autoriser une expulsion. Pour contrer cela, une seule solution : conserver une discipline irréprochable en ce qui concerne les équipements de sécurité, et effectuer une contre-visite préventive avec constat d'huissier attestant la non-dangerosité de votre bâtiment. 17 – SPECIAL PROPRIETAIRES : Comment éviter de se faire réquisitionner ? Louez vos immeubles, c’est encore le plus simple. Si vous avez peur des impayés de loyer ou des dégradations, concluez une GRL (garantie des risques locatifs). Cela ne coûte pas cher, et vous avez l'assurance d'être remboursé en cas d'impayés ou de dégradations par le locataire. Autre solution : le dispositif « louez solidaire et sans risque » (à Paris) vous permet de louer votre bien à la ville de Paris, avec l'assurance d'un loyer payé en continu pendant trois ou six ans. La gestion est assurée à 100% par la municipalité. Agissez pour la baisse des loyers, en baissant les vôtres, en incitant les politiques pour qu’ils régulent les loyers. Il n'y a pas d'autre façon de résoudre la crise du logement de manière satisfaisante que de baisser les loyers. L'accession de tous à la propriété est un leurre, qui ne fait que préparer les conditions d'une crise des subprimes à la française. Le logement social est un gouffre financier pour l'Etat. Dans un marché du logement concurrentiel, soit les propriétaires s'auto-disciplinent, et baissent leurs loyers volontairement, soit c'est à l'Etat de les contraindre à le faire. Un plafonnement législatif des loyers doit être assorti d'une taxation des locaux vides, pour contraindre les propriétaires à louer. Avec une baisse des loyers, l'immobilier sera un investissement moins lucratif, tout en continuant d'être rentable. Restaurer la valeur travail, c'est aussi lutter contre les revenus des rentiers. Investissez dans la construction de logements : Livret A caisse d'épargne, crédit coopératif... La baisse des loyers est une chose, la mobilisation des locaux vides (bureaux...) aussi, mais pour apaiser la pression immobilière, il faudra investir tôt ou tard bien plus fortement dans la construction de logements. La caisse des dépôts et des consignations, par le biais du livret A, finance le logement social. Il existe d'autres moyens de placer votre argent au profit de la lutte contre le mal-logement. Prêtez ou donnez vos bâtiments vides à des squatteurs responsables ! ça vous épargnera des habitants moins respectueux. Vous avez un bâtiment que vous ne pouvez vraiment pas louer, que vous ne pouvez pas vendre ? Mettez-le à disposition d'une association comme MACAQ : elle assure l'entretien, le gardiennage, la remise aux normes de sécurité, et installe dans votre bâtiment des services culturels et sociaux au habitants, des activités de solidarité et de convivialité. Grâce à la signature d'une convention de bail précaire, vous avez l'assurance de récupérer votre bâtiment quand vous en avez besoin. Votez pour des responsables politiques qui luttent contre les difficultés des locataires. Récupéré sur le blog des enfants de Don Quichotte. En date du 16/11/2008.Petit GuidePratique de la Réquisition Citoyenne 1 – Qu’est-ce qu'une réquisition citoyenne ? Une réquisition est une occupation légitime d’un lieu laissé vide volontairement par son propriétaire sur une longue durée. La réquisition n’est pas illégale : elle est prévue par la loi mais pas appliquée. La réquisition n’est pas une atteinte à la propriété : elle retire juste la jouissance d’un bien à un propriétaire qui manque à son devoir social d’utiliser son bâtiment. L’occupation sans droit ni titre ne relève pas du tribunal pénal mais du tribunal civil. Elle ne peut en aucun cas donner lieu ni à une peine de prison ni à une mention au casier judiciaire. La réquisition de bâtiments vides est légitimée par le contexte de grave crise du logement dans laquelle nous nous trouvons. 800 000 logements vides en France, 136 000 à Paris selon l'INSEE. 2 millions de mètres carrés de bureaux vides à Paris, c'est la surface du Luxembourg (le pays, pas le jardin) ! Pendant ce temps, 10 millions de mal-logés, 500 000 sans-abris, 1,4 millions de demandeurs de logement social en France. Lorsque le décalage est si grand entre la difficulté à se loger rencontrée par de plus en plus de Français de toutes les classes sociales, et la quantité de logements vides, alors un sursaut citoyen est indispensable. Lorsqu'à l'individualisme des propriétaires s'ajoute l'inaction des pouvoirs publics, et leur surdité aux appels de toutes les associations de défense des mal-logés, alors la désobéissance civique est légitime. La réquisition est possible en France actuellement, car la loi protège les occupants sans droit ni titre contre une expulsion sans procès. A partir d'une semaine d'occupation, à condition que le bâtiment soit effectivement vide, les occupants sont considérés comme résidents du lieu, et ne peuvent être expulsés sans une décision du juge à l'issue d'un procès. Cela peut paraître bizarre, mais tout simplement le droit au logement, dans le droit français actuel, a son mot à dire à côté du droit à la propriété. Nous demandons qu'il soit privilégié par rapport à la libre jouissance de lieux vides, mais cela prend du temps, et il faut déjà changer les mentalités avant que la loi ne valide ce retournement de priorité. Le collectif Jeudi-Noir, profitant de l'expérience de l'association MACAQ (Mouvement d'Animation Culturelle et Artistique de Quartier), a remis la Réquisition Citoyenne au goût du jour à Paris. En réquisitionnant fin 2006 le 24 rue de la Banque dans le 2e pour y faire le Ministère de la Crise du Logement, puis début 2008 le 7 impasse Saint-Claude dans le 3e, c'est un grand mouvement de réquisition qui s'amorce. Cette fièvre de la réquisition ne prendra fin que lorsque des solutions concrètes auront été mises en place pour tous les mal-logés ! Dans ce guide pratique, Jeudi-Noir vous livre toutes les ficelles pour réussir vous aussi votre réquisition, où que vous soyez. 2 – Etes-vous fait(e) pour la réquisition ? Pour prétendre à réquisitionner, il faut tout de même être objectivement mal-logé. Sans-abris, sans-domicile-fixe, habitant d'un logement insalubre, d'un foyer surpeuplé, logé dans une surface trop petite, trop loin de son lieu de travail, loyer ou remboursement de crédit trop cher pour vos ressources... finalement le mal-logement en France est tellement répandu que selon les critères des offices HLM, c'est 70% des français qui peuvent prétendre à un logement social, c'est à dire qu'ils sont effectivement mal-logés. On peut fixer le taux d'effort qu'un foyer peut investir dans son logement à 25% des revenus. Si vous dépensez actuellement 40%, 60%, voire 80% de vos revenus dans votre logement, alors vous pouvez vous considérer comme mal-logé. A moins de 25%, si votre logement convient à vos besoins en terme de surface et de localisation, vous êtes bien logé. Mais avant de réquisitionner, avez-vous réellement fait les démarches nécessaires pour trouver un logement adapté ? Si vous cherchez dans le privé, évitez à tout prix les agences de liste, qui vous vendent à prix d'or des listes d'appartements prétendument à louer, qui se révèlent en fait ne pas exister, où être déjà loués... Privilégiez les plans par bouche à oreille, car les bons plans n’ont pas besoin de poster d’annonce pour trouver preneur ! Enfin, réfléchissez à la collocation… c'est tout de même plus sympa d'habiter à plusieurs que tout seul ! Et c'est un peu moins cher. Évidemment, en situation de crise du logement, les voies classiques sont très difficiles. Si vous y avez droit, faite une demande de logement social ou universitaire ! C'est sûr que la pénurie absolue de HLM et de cités U rend les délais d'attente quasi illimités. Parfois il faut attendre dix ans avant de trouver une place en logement social ! Mais on ne sait jamais, retirez tout de même un dossier de demande. Il faut le renouveler tous les ans. Si vous n'avez trouvé de logement ni dans le privé ni en logement social, alors vous pouvez envisager la réquisition. Mais attention, il faut encore savoir votre positionnement politique ! La réquisition est un acte politique lourd de sens : cela signifie bousculer la loi. La réquisition n'est légitimée que par une volonté citoyenne de modifier la loi en faveur de tous. Si pour vous, réquisitionner un immeuble répond à un besoin individuel strict, alors vous n'êtes pas fait pour la réquisition. Si pour vous, réquisitionner un immeuble répond à l'envie de supprimer toute loi et de renverser la société, alors vous n'êtes pas fait pour la réquisition. La réquisition citoyenne se distingue du squat dans la mesure où elle ne cherche pas à créer un espace en-dehors de la société, mais au contraire elle cherche à donner un exemple de solution concrète pour résoudre un des problèmes de la société. Pour réquisitionner, vous devez donc être à même de justifier votre action devant le propriétaire, devant le juge, devant les médias, devant la société toute entière... Ce guide est là pour vous y préparer ! 3 – Choisissez la cible Première chose à faire évidemment : trouver un bâtiment vide. Comment repérer un bâtiment vide ? Rien de plus simple ! Si les fenêtres sont sales, si la boîte aux lettres est pleine, si personne ne répond quand on sonne, alors le bâtiment a toutes les chances d'être vide. Souvent les propriétaires laissent des lumières allumées, précisément pour éviter les squatteurs. Mais grâce à ce guide pratique, vous ne vous ferez pas avoir ! Attention, assurez-vous que le bâtiment est en bon état. Ça ne sert à rien d’habiter un immeuble en train de s’écrouler, et d'ailleurs c'est un raison pour se faire expulser sans délai. Restez discret pour ne pas alerter le voisinage. Gardez en mémoire les fenêtre, rideaux, volets ouverts ou fermés, les lumières allumées. Vous repasserez plusieurs fois dans les semaines qui viennent, à différents moments de la journée. Si jamais rien ne bouge, vous pouvez être sûr que le bâtiment est vide. Cherchez dans l'annuaire si une ligne de téléphone est installée à cet adresse. Cherchez sur Google des renseignements sur le bâtiment. Sur www.cadastre.gouv.fr, recherchez sa surface et son propriétaire. Recherchez sur internet des renseignements sur le propriétaire. L'air de rien, demandez aux voisins, aux commerçants du coin, des informations sur le bâtiment : depuis combien de temps est-il vide ? qui est le proprio ? pourquoi le laisse-t-il vide ? Mais sans éveiller les soupçons sur vos intentions, évidemment. A partir de vos informations, essayez de deviner pour quelles raisons le bâtiment est vide : spéculation ? indivision ? oubli pur et simple ? propriétaire disparu ? Parfois, le propriétaire a des raisons valables de laisser vide le bâtiment, mais c'est extrêmement rare. Le plus souvent, il le laisse vide parce qu'il n'a pas envie de faire les démarches nécessaires pour le louer, et préfère attendre le bon moment pour le vendre au meilleur prix. Cette technique s'appelle la spéculation. C'est à cause de ces pratiques qu'il y a une pénurie de logements et que les loyers sont si chers. Il faut savoir qu'un bâtiment habité se vend moins cher qu'un bâtiment vide. Il existe une taxe sur les logements vides, mais elle n'est pas du tout suffisante pour être dissuasive. Elle n'est pas toujours payée, faute de personnel suffisant pour repérer les logements vides. De plus, les propriétaires qui cherchent à spéculer transforment de plus en plus de logements en bureaux : les bureaux ne sont pas soumis à la taxe sur les logements vacants, ils sont plus faciles à gérer (moins de fluides), et surtout sont beaucoup plus souples : il est plus facile de faire partir une entreprise qu'une famille lorsque vient le moment de vendre. Enfin, certains immeubles sont purement et simplement oubliés par leur propriétaire. La plupart des immeubles parisiens appartiennent à des grands groupes d'assurances ou à des banques. Les documents concernant leur patrimoine immobilier peuvent finir par se perdre, de secrétariats en conseils d'administrations. Lorsqu'on possède des dizaines voire des centaines de bâtiments dans le monde, il est possible d'oublier 3000 mètres carrés, comme on oublie un stylo derrière un bureau. Préférer un immeuble placé dans un quartier tranquille, voire chic, afin d'éviter de se faire harceler par des centaines de sans-abris qui demandent asile. Pas trop bourgeois quand même, car les élus peuvent être chatouilleux, et de toute façon les magasins sont trop chers ! MACAQ a occupé pendant un an et demi un immeuble devant le parc Monceau, c'était joli mais tous les restos, épiceries, sont hors de prix ! Attention : le bâtiment doit impérativement pouvoir être ouvert SANS EFFRACTION. Si la police parvient à faire la preuve que vous êtes entrés en cassant quelque chose, elle peut vous expulser sans délai, donc autant ne pas prendre le risque. Alors là, on laisse libre cours à votre imagination : fenêtre ouverte à l’étage, deviner le digicode, etc. 4 – Former l’équipe Très important : former une équipe de gens motivés, débrouillards, aux qualités complémentaires. Il vous faut : - des gens qui savent faire des travaux : électricité, plâtre, serrures, plomberie... quand on emménage dans un immeuble de bureaux on a envie de pouvoir se laver quand même. - un juriste, pour parler au propriétaire et aux policiers. - des gens qui savent parler aux médias et aux politiques. - des gens qui ont quand même un peu d’argent pour payer les travaux et les charges. - pas trop de cas sociaux. - d'une manière globale : des personnes sachant ce que veut dire « autogestion ». Prenez vraiment le temps de recruter soigneusement vos futurs colocs. La dynamique interne et la discipline sont les choses les plus importantes et aussi les plus dures à obtenir. Mieux vaut ne pas trop densifier au début : en fonction du bâtiment, une dizaine de personnes pour 1000m² suffisent tout à fait. De toute façon, il est impossible de savoir combien de personnes pourront être logées avant d'être entré dans le bâtiment. Lors du premier contact avec la police, il est important d'être suffisamment nombreux pour justifier de l'occupation de tout le bâtiment (3 personnes dans 1000 m², c'est un peu léger), et décourager une expulsion éclair. Mais il ne faut pas non plus être trop nombreux car la police doit être certaine qu'elle ne perdra pas le contrôle de la situation. Prenez le temps de prévenir tous les participants des risques encourus et de la stratégie à suivre, dans tous ses détails. Sur le moment on doit souvent réagir rapidement et il sera trop tard pour expliquer à ce moment là. Une réquisition est un acte fort et éprouvant émotionnellement. C'est une aventure collective à laquelle nous ne sommes pas préparés : dans notre société nous sommes individualisés, nous avons l'habitude d'être responsable de nous-même, de notre foyer éventuellement. Dans une aventure comme une réquisition, chacun est responsable du groupe tout entier. C'est une charge que beaucoup ne parviennent pas à supporter. Le groupe, les liens de solidarité et de complicité qui n'y créent, sont la condition indispensable au succès de la réquisition : personne ne peut assumer de se mettre autant dans l'illégalité, et de façon aussi frontale et affichée, sans être porté par un groupe. Seul, se lancer dans cette aventure est suicidaire. Ensemble, l'impensable devient possible : habiter pendant un an ou plus dans un bâtiment qui ne nous appartient pas ! Certaines réquisitions ont échoué car des personnes déjà médiatisées lors de précédentes réquisitions ont été mises en avant lors du premier contact avec la police. Ainsi, lors de la prise du 85, boulevard de Montparnasse, la mise en avant d'un des ouvreurs du 24 rue de la Banque, a déclenché l'expulsion immédiate des 20 habitants pourtant installés depuis cinq jours, en mobilisant près d'une vingtaine de cars de gendarmes mobiles. En règle générale, il ne faut pas faire peur aux autorités, surtout sous un gouvernement de droite : il est important de faire comprendre clairement à la police votre volonté de ne pas causer de trouble à l'ordre public. Donc privilégier des profils « lisses » : jeunes français dont pas mal de filles, pas trop mal habillés, parlant correctement. C'est bête, mais c'est important pour le premier contact avec la police. Une fois la réquisition officialisée, il sera toujours temps d'ajouter les personnes « moins présentables » (militants connus, garçons costauds, immigrés, etc). 5 - Préparer l’emménagement Préparez soigneusement l'entrée dans le bâtiment. Comme cela a déjà été dit, il ne faut en aucun cas faire d'effraction, c'est à dire que rien ne doit être cassé au moment d'entrer dans les lieux, ni serrure, ni fenêtre, ni vitre, ni mur... Heureusement, souvent les bâtiments abandonnés peuvent s'ouvrir sans effraction, soit par négligence du propriétaire, soit parce que l'accès a été ouvert par des visiteurs précédents. Dans le cas de l'Impasse Saint Claude, nous sommes entrés dans la cour du 80, rue de Turenne, qui est occupée et ouverte au public en journée. Dans cette cour, une petite grille enfoncée donnait accès à la cave, et par un système de souterrain nous avons retrouvé l'accès au bâtiment de derrière, 4000m² inoccupés depuis 10 ans. Une fois à l'intérieur, par contre, nous nous sommes empressés de placer un cadenas sur la grille pour éviter d'être délogés ! Pour obtenir le lancement du procès qui vous permettra de rester plusieurs mois, il faut passer une première semaine sans vous faire repérer par le propriétaire ou par la police. Cette période s'appelle le « sous-marin ». Lors de la première visite de la police, il vous faudra prouver votre présence dans les lieux depuis au moins huit jours. Les preuves de votre présence sont avant tout la quantité d'affaires que vous aurez installées, et les traces de vie : provisions entamées, vaisselle sale, toilettes utilisées, lits défaits, poubelles pleines, bougies fondues... Dans la mesure où il vous faudra réduire au maximum, voire supprimer toute entrée ou sortie du bâtiment pendant ces huit jours cruciaux, vous devez préparer toutes les affaires de l'installation et du sous-marin avant l'entrée dans les lieux. Prévoyez le couchage, la nourriture, la vaisselle, de quoi faire cuire les aliments, des outils pour les travaux d'urgence, un nécessaire de toilette, une trousse de premiers soins, des affaires de ménage... Bien entendu, le risque d'expulsion est présent, surtout au début. Donc n'apportez pas le service à vaisselle de votre grand-mère. Si besoin, allez faire un tour chez Emmaüs ou dans votre grenier pour rassembler des vêtements, petits objets personnels, vaisselle, radio portable, posters... dont vous pourriez vous séparer sans regret. Si l'entrée dans l'immeuble peut être utilisée sans se faire remarquer, il peut être utile de faire des allers et retours en camion pour rapporter plus d'affaires. Lors de la réquisition de Montparnasse, une vingtaine d'allers et retours en camion ont été faits pour ramener de plus en plus d'affaires : canapés, sommiers, bureaux, tables, armoires, ordinateurs, imprimantes, et même un baby-foot ! Il peut être utile de préparer une réserve d'affaires et de meubles prêts à apporter pour améliorer l'installation. Parfois, il y a encore l'électricité branchée et l'eau, parfois même le téléphone ! Certains sous-marins sont plus confortables que d'autres... Après le sous-marin il faut en revanche signer des contrats pour l'électricité, le téléphone et l'eau : lorsqu'on ne paie pas de loyer, on peut se permettre de payer les charges. De plus il en va de la crédibilité militante de votre réquisition. Les citoyens ne volent pas, et ne volent surtout pas l'Etat. 6 – Entrer dans le bâtiment La pire des stratégies est d'entrer la nuit, cagoulés. Vous êtes sûrs de vous faire repérer, arrêter, et de passer la nuit au poste. Il faut au contraire entrer le jour, en semaine, à visage découvert. Habillez-vous en costume cravate avec attaché-case, ou en bleu de travail avec casque de chantier, garez le camion devant l'immeuble, et poussez la porte comme si tout était normal. Faites entrer les filles en premier, elles ne se montreront plus avant la fin du sous-marin. Faites la chaîne pour faire entrer toutes les affaires rapidement. Le plus discret est de tout ranger dans des cartons. Si vous vous y prenez bien, personne ne remarquera rien de bizarre. Si un voisin vous pose une question, vous n'êtes qu'un subalterne qui fait son travail, envoyez-le vers un numéro de téléphone censé répondre à ses questions. Une fois entrés, tout de suite poser des serrures pour être chez soi et ne pas se faire envahir. Le propriétaire ne doit pas entrer sans être accompagné d'un Officier de Police Judiciaire. Attention aussi aux invasions par des squatteurs. Rapidement faire installer un contrat EDF ou le contrat pour l’eau. Ce sont les preuves de votre entrée dans les lieux, à faire valoir lorsque vous recevrez la première visite de la police. Les services d'eau, d'électricité et de téléphone n'ont pas besoin de savoir que vous êtes en train de réquisitionner un bâtiment. Leur travail est de brancher, et si vous payez ils ne posent pas plus de question. D'ailleurs très souvent les agents rencontrent les mêmes problèmes de logement, et ils soutiennent les réquisitions, ne serait-ce qu'en s'abstenant de faire du zèle. Condamnez tous les accès par où vous pourriez être vus par le voisinage. N'allumez pas la lumière, ne faites pas de bruit. Ces précautions sont essentielles et méritent d'être soignées. Ce sont souvent les voisins qui préviennent la police ou le propriétaire. Lorsqu'ils voient un bâtiment abandonné pendant dès années soudainement habité sans qu'il y ait eu des travaux préalables, ils prennent peur et risquent de vous dénoncer. De plus, la médiatisation actuelle des occupations, si elle rallie énormément de gens à notre cause, donne aussi à certains esprits obtus l'idée que le squat est possible. Ils peuvent donc avoir plus de méfiance. Mais si vous vous y prenez bien, personne ne se doutera de rien, et vous passerez la semaine sans encombre. Mettez en place des tours de veille afin de ne pas être pris au dépourvu par une visite inopportune. Ça y est, vous avez pris le bâtiment ! Savourez votre succès... Mais cette aventure incroyable se paie d'une relativement grande précarité. Pour l'instant, l'occupation est clandestine, et la police peut débarquer d'un moment à l'autre et vous expulser dans l'heure. Une fois le commissaire passé et la procédure judiciaire lancée, vous serez tranquilles pour plusieurs mois. Mais pour l'instant, il faut être à l'affût du moindre bruit, aux aguets pour éviter de se faire voir. Cette situation est excitante mais lourde de pression psychologique. Il est important de rester en groupe, car une personne isolée peut paniquer et perdre son sang-froid. Rassurez-vous, faites de la relaxation, des travaux calmes... Vous avez une semaine devant vous sans sortir d'un bâtiment : vivez-le comme une retraite, prenez le temps de réfléchir, d'écrire... Je suis d'ailleurs actuellement en sous-marin lorsque j'écris ces lignes ! 7 – Rapports avec le propriétaire Lorsque le propriétaire s’aperçoit de la présence des réquisitionnaires, le plus souvent prévenu par des voisins, il vient la plupart du temps lui-même voir ce dont il retourne. Dans tous les cas, ne pas laisser entrer le propriétaire. Vous êtes chez vous. Il faut le recevoir très poliment, et avant tout le rassurer : vous n’êtes pas des squatteurs, vous avez juste réquisitionné son bâtiment, vide, pour y loger, vous ne faites aucune dégradation. Proposez-lui de lui payer un loyer, de rénover son bâtiment, gratuitement, et de partir lorsqu'il voudra le récupérer pour en faire quelque chose de précis. Il a tout avantage à traiter avec vous : son bâtiment qui ne lui rapportait rien va gagner de sa valeur, il va être certain de ne pas être squatté, il va passe aux yeux de la presse pour un propriétaire progressiste et généreux ! Si toutefois le propriétaire n’est pas content, ce qui a tout de même de fortes chances d'arriver, dites-lui qu’il peut payer un huissier, et payer les frais d'une procédure civile contre vous. Il passera aux yeux de la presse pour un propriétaire ultra réactionnaire et égoïste, et s'il perd la procédure, il devra encore payer pour vous dédommager. Parfois le propriétaire ne s'aperçoit pas que son immeuble est occupé, et personne ne prend la peine de le prévenir. Il arrive qu'il se passe deux, trois mois sans que le propriétaire ni ses envoyés ne se présentent. Il est alors possible de contacter soi-même le propriétaire pour l'informer que son bâtiment est réquisitionné. Histoire de mettre les choses au clair et de le prévenir que vous n'êtes pas des squatteurs sauvages mais des personnes responsables. Toutefois, avant de prévenir le propriétaire ou la police, assurez-vous que vous avez bien rassemblé les preuves de votre installation dans les lieux depuis un temps suffisamment long. Il arrive que le propriétaire réagisse de manière violente. Comme dans toute catégorie de population, il y a des propriétaires obtus qui n'hésitent pas à employer la manière forte pour se débarrasser des gêneurs. Si vous voyez débarquer en pleine nuit une dizaine de brutes armées de barres de fer qui essaient de rentrer chez vous, ne vous inquiétez pas : c'est certainement votre propriétaire qui les a envoyés. Que faire ? Si vous n'avez pas envie ce soir-là de vous battre, appelez la police. Le plus souvent, le simple fait de parler de la police suffit à faire fuir les intrus : ils n'ont pas envie de finir au poste vue leur maigre rétribution, lorsqu'ils ne sont pas tout simplement sans-papiers ! Si votre réquisition est déjà officialisée auprès de la police, celle-ci vous protège en principe contre une violation de domicile, au même titre que n'importe quel bon citoyen. Si la police n'est pas au courant de votre réquisition, c'est encore plus simple : elle ne peut pas deviner que vous ne payez pas de loyer et interpellera tout simplement les intrus sans poser de question. A l'inverse, il est parfois possible de s'entendre avec un propriétaire intelligent. De toute évidence, un bâtiment réquisitionné par des mal-logés coûte moins cher en entretien et en gardiennage que s'il lui fallait payer un gardien. Une fois qu'il a décidé de déclencher une procédure contre vous, le propriétaire envoie un huissier. L'huissier se contente de relever le nombre de personnes présentes lors de sa visite, et les biens matériels (matelas, meubles, électroménager...), sans s'attarder sur les détails. Il établit un constat décrivant en gros l'occupation. Une fois cette visite effectuée, la réquisition est sécurisée d'un point de vue légal, c'est à dire qu'il est impossible de vous expulser avant la fin du procès et du délai donné par le juge, sauf bien sûr en cas d'urgence ou de danger manifeste. 8 – Rapports avec le commissariat Le commissariat est censé défendre la loi, c’est-à-dire y compris la propriété privée. Mais il est surtout attaché à éviter tout trouble à l’ordre public. Le plus urgent est de rassurer les policiers lorsqu’ils se présentent à vous : vous souhaitez occuper paisiblement les lieux, vous ne faites pas de bazar, vous n’êtes pas des drogués ni des voyous ni des marginaux. Vous êtes juste en galère, un peu comme les policiers finalement ! eux non plus ne gagnent pas grand chose et ne peuvent pas se payer d’appartement en centre-ville… Les propriétaires ont des droits, certes, mais les habitants aussi, même s’ils ne paient pas de loyer. En particulier, ils ne peuvent être expulsés sans procès. Il est important d'entretenir de bonnes relations avec le commissariat, de montrer patte blanche en leur donnant la liste de tous les habitants, avec nom, prénom, date et lieu de naissance. Vous pouvez faire visiter les lieux aux policiers pour qu'ils voient votre installation : plus c'est propre, organisé, agréable, plus ils auront envie de vous soutenir. Donnez le numéro de téléphone d'un d'entre vous pour qu'ils vous contactent au moindre problème. De même, noter précisément le numéro de téléphone du commissariat du quartier pour les appeler en cas de problème : si des squatteurs mal-intentionnés veulent entrer chez vous, un simple coup de fil au commissariat et vous en serez débarrassés ! Attention, depuis le 6 mai 2007, on constate à Paris une modification non négligeable de l'attitude policière à l'égard des squatteurs, et particulièrement des réquisitionneurs. La présidence conquérante des premiers mois du Sarkozysme, puis la présidence parano des mois suivant le retournement de cote de popularité, instaurent dans le milieu policier une tension palpable à l'égard de tout ce qui peut potentiellement déstabiliser le pouvoir. La Ministre de l'Intérieur et le Préfet de Police de Paris ont régulièrement des réunions au sommet pour déterminer leurs priorités en terme de sécurité. A chaque fois, le contrôle des « terroristes d'extrême gauche notamment issus du milieu des squats » arrivent en bonne position. Mais comme cette catégorie de personnes ne court tout de même pas les rues, les forces de l'ordre ont légèrement tendance à placer toute sorte d'occupation politique dans cette catégorie... Le tout est d'éviter que la préfecture ne prenne en charge votre dossier. Alors que les commissariats de quartier sont là pour maintenir la paix, et n'ont pas envie de se créer des problèmes avec le voisinage, la préfecture en revanche ne lésinera jamais sur les moyens à mettre en œuvre pour « crever l'abcès », si elle sent que votre occupation dérange le pouvoir en place. Une stratégie qui porte ses fruits consiste donc en la suppression de toute référence à un combat politique dans les premiers temps de la réquisition. Dans les premiers contacts avec la police, insistez sur le fait que vous êtes juste en galère, que vous voulez juste vivre ici et ne déranger personne. Ainsi le commissariat gardera le dossier en charge et la préfecture s'occupera d'autre chose. Une fois l'huissier passé, et la procédure judiciaire lancée, la loi vous protège, même contre la préfecture. C'est le moment d'officialiser votre réquisition : conférence de presse, prises de positions sur la politique du logement, affichage des soutiens politiques et people... 9 – Les voisins Entretenir de bons rapports avec le voisinage est absolument essentiel. Un voisinage hostile vous fera expulser en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Les voisins mécontents feront pression sur les élus locaux pour obtenir votre départ. Ainsi, à l'impasse Saint-Claude, la gardienne de l'immeuble a réussi à monter tous les habitants du quartier contre les réquisitionneurs, et malgré nos efforts pour calmer les voisins et les convaincre que nous n'étions aucunement une nuisance, elle a obtenu notre expulsion. Il faut à tout prix éviter les nuisance sonores, surtout dans les premiers temps de l'occupation. Ni soirée, ni travaux après 17h, ni musique trop forte. Attention aux murs mitoyens qui sont parfois particulièrement fins. Lorsqu'un voisin vous dit qu'il vous entend parler dans votre cuisine, il est grand temps d'isoler cette paroi de façon sérieuse, avec des boîtes d'œufs par exemple, et de limiter au maximum le bruit dans cette pièce. Évitez également les attroupements devant la porte qui gênent les voisins et leur font peur. Demandez aux amis qui vous rendent visite de dégager rapidement les lieux sous peine de voir débarquer à coup sûr un policier prévenu par les voisins. A l'impasse, afin d'éviter les nuisances aux voisins, le propriétaire parano et harcelé par la gardienne, a été jusqu'à payer une entreprise de sécurité pour placer un maître-chien en permanence le week-end devant notre porte d'entrée, soit-disant pour empêcher aux non-habitants de pénétrer dans les lieux. Heureusement, nous sommes rapidement devenus amis, et il n'est pas rare qu'ils viennent prendre un verre avec nous, discuter, recharger leur portable ou aller aux toilettes chez nous, plutôt que chez la gardienne... Si un voisinage hostile peut mettre en péril votre réquisition, en revanche un voisinage allié constitue un argument extrêmement puissant pour obtenir la bienveillance du commissariat local, et des délais auprès du juge lors du procès. Il est important de nouer des liens avec les associations de riverains, les commerçants, les enfants, les retraités... Il est impératif d'aller vers les voisins, dès que votre présence est découverte. L'information « qu'il y a des squatteurs » va faire le tour du quartier dans l'heure, et il est important de couper court immédiatement à la psychose. Ne pas hésiter à aller discuter avec eux, se présenter, insister sur votre situation difficile, sur le scandale que représentent les bâtiments vides... Les voisins, surtout dans les quartiers un peu chics, ne voient pas d'un bon œil l'arrivée de jeunes en difficulté financière. Il n'ont pas pitié de vous, donc habillez-vous bien pour aller les voir, et jouez plutôt sur l'identification : vous êtes des travailleurs comme eux, vous vivez honnêtement, mais les loyers sont devenus fous, et la seule solution est de réquisitionner. Il faut faire une étude sociologique du quartier afin d'optimiser votre stratégie de séduction. Quartier populaire, forte population immigrée ? Vous réquisitionnez pour permettre à la mairie de racheter pour faire du logement social. Quartier bobo ? Vous voulez mettre en place des activités culturelles. Quartier UMP ? Vous squattez pour pouvoir lancer votre micro entreprise et gagner suffisamment d'argent pour payer votre loyer sans dépendre de l'Etat. Posez-vous la question de ce que la population attend pour son quartier : du logement ? Des services aux enfants ? Aux anciens ? Un bar associatif ? Des activités culturelles, économiques ? S'il faut ouvrir un cinéma de quartier, ouvrez un cinéma de quartier. S'il faut faire de l'aide aux devoirs, des cours de Word ou Excel pour les anciens, voire de l'accompagnement social, cela vaut vraiment le coup de mettre les moyens pour que le voisinage ressente une plus-value avec votre présence. Et dès que les lieux sont présentables, invitez le quartier à boire un verre chez vous ! C'est la philosophie des Macaq : « on prend un bien de façon temporaire à un propriétaire négligeant, donc en retour il faut donner à la société, sous forme de services ». Il s'agit aussi de mettre en lumière le manque à gagner social des bâtiments laissés vides. 10 – Les travaux d’aménagement Une fois la situation apaisée, et l’ouverture officialisée, commencent les travaux d’aménagement. Les travaux sont également une façon très importante de prouver votre bonne foi. D’abord, le plus urgent : remettre en service, si c’est nécessaire, le circuit électrique, le circuit d’eau. Se faire aider par des amis compétents : un immeuble réquisitionné n’a pas d’assurance, donc il faut à tout prix, pour votre sécurité et pour votre crédibilité, sécuriser et remplacer s’il le faut, les installations. A l'impasse, toute une partie de l'immeuble, sous une verrière vétuste, représentait un danger. Notre premier geste a été de sécuriser cet espace en en condamnant tous les accès possibles. Un accident dans un bâtiment réquisitionné, et c'est l'expulsion immédiate assurée. La plupart des bâtiments abandonnés depuis des années comportent de grosses dégradations liées aux dégâts des eaux. A Rio, par exemple, magnifique immeuble haussmanien du huitième arrondissement, une simple gouttière à moitié bouchée par des feuilles était en train de défigurer toute la cage d'escalier en pierre de taille, un peu plus à chaque pluie depuis dix ans. Nous avons juste eu besoin de nettoyer la gouttière pour stopper les infiltrations et commencer à réduire l'humidité du bâtiment. Les dégâts étaient trop importants pour pouvoir les réparer, mais au moins nous avons empêché qu'ils ne progressent. A l'impasse Saint Claude, même chose : une simple fuite dans la tuyauterie, non réparée parce que les accès à cette partie du bâtiment étaient tout simplement murés (!), détruisait depuis cinq ans les murs, les plafonds, les beaux parquets, sur quatre étages en dessous de la fuite. Là encore, la réquisition a permis d'arrêter les dégâts et de sauver dans une certaine mesure des bâtiments vieux de plus d'un siècle, mais négligés par leur propriétaire. Une fois les travaux de sécurisation opérés, il faut penser à la tranquillité des habitants. Poser une grosse serrure à la porte d’entrée (souvent celle que l'on pose au début est une serrure à prix discount, il faut la remplacer), avec digicode si possible ! Une serrure à chaque étage ou unité de vie, et une serrure à chaque chambre. A la différence du squat, dans un bâtiment réquisitionné, on est chez soi... Par contre, c'est important de laisser un double de chaque pièce en sécurité, en cas de besoin urgent. Ensuite, dégager les gravats éventuels (vous pouvez commander une benne à ordure à la Mairie), décaper les murs, réenduire, repeindre. Parfois, il y a besoin d'un coup de peinture d'urgence (pour effacer les tags...), quitte à repeindre plus tard pour obtenir le rendu voulu. Suivant l'immeuble, il peut y avoir besoin de faire du ciment pour boucher des gros trous, de construire des cloisons voire des murs, de placer des portes... Attention, il est impératif de faire ces travaux proprement, pour ne pas pouvoir être accusés d'avoir dégradé le bâtiment. Bien sûr, les travaux des réquisitionneurs améliorent les lieux plus qu'ils ne les dégradent, mais les propriétaires sont parfois d'une mauvaise foi à toute épreuve ! N'hésitez pas à faire les travaux dont vous avez besoin. De toute façon, lorsqu'un bâtiment est vendu, le plus souvent tout est détruit, saufs les murs porteurs et les planchers, pour tout refaire à neuf. Ne négligez pas les travaux d'isolation : souvent, dans les immeubles qui ont de l'âge, l'isolation laisse à désirer, et alors la note de chauffage crève les plafonds ! De la mousse expansive pour boucher les fuites, du double vitrage en plastique souple, de l'isolation de murs avec des couvertures, si vous n'avez pas le courage de mettre de la laine de verre et du placo ! Les lieux doivent être agréables et beaux. Vous avez enfin le droit de peindre votre chambre comme vous voulez, profitez-en. Mais attention, la finalité de ces lieux est tout de même d'être montrés aux caméras et aux officiels qui viendront vous rendre visite, donc gardez une déco relativement consensuelle. Enfin, emménagez. Récupérez gazinière, frigo, machine à laver, canapé… à Emmaüs ou même aux encombrants, on en trouve plein de très bien. Les plans récup, ça ne manque pas ! contactez les Macaq au cas où... L'avantage d'une réquisition est qu'on ne manque en général pas de place. Et comme à Paris tout le monde en manque, on peut récupérer des affaires facilement ! 11 – La vie quotidienne Réquisitionner un bâtiment, c'est de la rigolade ! Maintenant commence le véritable travail, c'est celui de parvenir à conserver un fonctionnement interne constructif entre les habitants du lieu. L'organisation de la vie d'un squat relève d'un art qu'il n'est pas donné à tout le monde de maîtriser... La vie en commun comporte des contraintes, mais la réquisition comporte des spécificités que nous allons tenter de résumer. Organiser le budget : tout le monde doit participer aux frais communs : charges, internet, travaux communs, serrures et clés, avocat, etc. Comme dans une copropriété, il y a des dépenses à assumer collectivement. Or, très souvent, certains habitants n'ont pas de ressources financières ou pas suffisamment pour payer les dépenses d'aménagement des espaces communs du lieu. Il y a alors un débat entre les habitants, pour décider de la somme à dépenser. Les plus à l'aise n'ont pas à imposer aux plus fauchés de payer des éléments de confort communs, comme repeindre les escaliers, installer internet... Mais en revanche, il y a des dépenses incompressibles, comme l'avocat, les charges, les travaux de sécurisation (extincteurs...). Dans la mesure où ces dépenses, si elles ne sont pas faites, risquent d'entraîner l'expulsion, les personnes qui ne peuvent pas payer leur part de ces frais peuvent être considérées comme n'ayant pas leur place dans le bâtiment. Évidemment, on n'est pas des brutes, il s'agit de considérer la situation particulière de chacun. Si la personne est en difficulté financière momentanée, qu'elle fait des efforts pour s'en sortir, alors le reste du groupe peut faire un effort commun et payer le complément. Mais attention, ces situations d'inégalité compliquent les rapports entre les habitants. Certains comportements mettent en péril la sécurité du lieu. Fanfaronnade devant la police, provocations du voisinage, nuisances, fêtes trop bruyantes, présence ou consommation de produits illicites, comportement agressif ou violent, la réalisation de dépenses inutiles sur les frais collectifs, la conquête des espaces des autres, le fait d'inviter des amis à venir dormir dans le bâtiment, pour quelques nuits puis définitivement... La vie à la bordure de la loi donne à certains un sentiment de liberté et de toute-puissance, qui pousse à dépasser les bornes. Il est important d'être très ferme sur ces fautes graves. Il est possible de rédiger un « règlement intérieur » de l'immeuble réquisitionné, qui définisse l'utilisation des espaces et les comportements adaptés. Lorsque chaque habitant a signé ce document, il est plus facile de le faire respecter, voire d'exclure une personne qui se montre incapable de s'y tenir. Mais très souvent la fibre libertaire des squatteurs les fait rechigner à utiliser de tels moyens. Pourtant c'est un rempart contre les dérives et cela permet d'éviter d'en venir à la pression pour régler les problèmes. La vie en communauté ne nécessite pas seulement l'investissement financier et le respect de la discipline : un investissement en temps et en énergie est également nécessaire. Travaux, déménagements, ménage, poubelles, encadrement des soirées... Dans une « colocation » à vingt personnes, il est indispensable que chacun s'investisse ou sinon la situation devient très rapidement ingérable. Là encore, il est tentant d'essayer de s'organiser sans avoir à passer derrière chacun et noter ce qu'untel ou untel fait ou ne fait pas. Mais l'expérience montre que plus le nombre de personnes vivant ensemble est important, moins l'auto-discipline fonctionne. Il est beaucoup plus facile de se dire « quelqu'un d'autre s'en occupera » quand on est vingt-cinq que quand on est trois. Finalement, il est utile de faire des tableaux où chacun a une tâche précise à effectuer régulièrement. Ça fait un peu « colonie de vacances », mais c'est simplement de l'organisation et de la transparence. En ce qui concerne l'attribution des espaces, il est important de répartir les habitations en fonction des rythmes et non pas en fonction des affinités. Ceux qui se lèvent tôt ensemble, ceux qui se couchent tard ensemble, une pratique courante chez les squatteurs consiste à attribuer les espaces selon la règle du premier arrivé, ou de celui qui crie le plus fort. Pour éviter cela, il est important d'attribuer au plus tôt les espaces, en fonction des besoins réels de chacun. La responsabilité de la répartition doit être confiée à une personne neutre. Finances, discipline, investissement, répartition des espaces, toutes ces questions sont source de conflit. Mais si vous arriver à les régler de façon pacifique et satisfaisante pour tout le monde, alors la vie en communauté est un vrai bonheur ! On ne s'ennuie jamais, il y a toujours quelqu'un avec qui discuter, quelqu'un à découvrir, et toujours des gens nouveaux qui passent, et qui apportent leur vécu, leur réflexion, leur sensibilité... Parvenir à ouvrir et à faire fonctionner un lieu collectif tel qu'une réquisition citoyenne est un défi qui suscite l'intérêt de beaucoup de gens. Enfin, il faut tout de même dire un mot sur un aspect non négligeable de la vie en communauté : les rapports amoureux. Déjà, on peu tordre le cou à une idée reçue : la vie en collectivité ne favorise pas la communauté sexuelle, c'est même plutôt l'inverse. L'existence d'une vie de groupe intense et d'une proximité permanente rend la vie dure aux relations intimes. Au moindre soupçon de connivence entre deux personnes, tout se sait dans le groupe, et finalement plus personne n'ose rien tenter tant le regard des autres est présent. Les relations internes au groupe sont rares, et toujours très discrètes. Les relations externes sont souvent éphémères, car il est difficile pour la personne extérieure de s'intégrer au groupe tout en étant « la copine de » ou « le copain de ». De l'autre côté, le temps qu'une personne du groupe passe avec une personne extérieure est parfois perçu comme une « infidélité au groupe » (bien que ce ne soit jamais formulé comme tel). 12 – Les médias Une fois l’aménagement terminé, c’est le moment d’inaugurer votre réquisition. Une réquisition ne doit pas rester confidentielle, c’est avant tout un acte politique et militant. La désobéissance civique ne se justifie que dans la mesure où on réclame la modification de la loi, en l’occurrence le droit pour les citoyens d’appliquer la loi de réquisition lorsque l’Etat ne le fait pas. Mais attention : on n’invite pas n’importe quels médias ! certains sont avec nous, ils n’ont en général presque pas d’audience. Certains sont contre nous. D’autres enfin peuvent vous soutenir si vous savez leur faire comprendre l'intérêt de votre réquisition. Ce qu'il faut dire : « Nous sommes tous en galère, nous avons cherché pendant des mois et des mois à nous loger normalement, nous n'avons pas réussi parce que les loyers sont trop chers et que les propriétaires demandent trop de garanties. Nous sommes des citoyens respectueux de la loi, nous n'aurions jamais pensé squatter un jour le bien d'autrui. C'est la situation d'urgence dans laquelle nous étions qui nous a obligés à le faire. Nous voulons un logement social. Nous travaillons tous pour vivre. Mais aujourd'hui, travailler ne permet plus de se loger. Nous avons occupé un bâtiment qui ne nous appartient pas, mais qui était à l'abandon depuis tant d'années. Visiblement, le propriétaire n'en a pas besoin. C'est une sorte de recyclage. Nous avons fait beaucoup de travaux pour réparer, sécuriser, améliorer, aménager l'immeuble. Il est si facile de transformer un bâtiment vide en logements qu'on ne comprend pas pourquoi ils le laissent vide en période de pénurie de logement. On ne comprend pas non plus pourquoi l'Etat n'applique pas la loi de réquisition. Nous voulons être intégrés dans le quartier. Nous expliquons aux voisins notre situation et nous faisons tout pour ne pas les déranger. » Ce qu'il ne faut pas dire : « Nous, de toute façon, on n'a jamais rien fait comme les autres. On est contre l'ordre, le travail, l'Etat, la loi, la propriété. Squatter est pour nous un moyen de vivre sans travailler, et de faire chier les bourgeois. On espère qu'en les emmerdant de plus en plus, ils vont finir par nous donner de plus en plus leur argent, pour avoir la tranquillité. Notre ambition est de prendre tous les bâtiments des riches, et finalement d'abolir la propriété. La crise du logement est pour nous un moyen de légitimer le squat, un moyen de rendre populaire une démarche d'appropriation égocentrique. Ceux qui paient leur loyer et travaillent nous font rire : ils n'ont qu'à squatter ! Tant que tout le monde continuera à payer un loyer, on ne gagnera pas. Mais attention : si trop de monde se met à squatter, la police sera moins tolérante, donc il ne vaut mieux pas que tout le monde se mette à squatter, sinon on ne pourra plus le faire. Comme on déteste le propriétaire, on fait ce qu'on veut de son immeuble : on a cassé des murs, tout repeint avec des couleurs bariolées, au couleurs de notre révolte ! On se fiche des voisins, de toute façon, on est déjà en procès. Donc on organise des fêtes toutes les semaines et on invite nos potes. » Là, c'est de la caricature, évidemment. Mais il n'est pas rare de rencontrer des journalistes qui viennent chercher ce type de discours, et qui vont faire parler tous les habitants un par un jusqu'à en trouver un qui va lui parler comme ça, par griserie d'être devant la caméra. Les journalistes savent très bien faire semblant d'être séduits par l'attitude contestataire, et poser les questions qui vont appeler telle ou telle réponse croustillante. Mais au montage, ils suppriment tout ce qui ne va pas dans le sens du message qu'ils veulent faire passer. Il est donc très important que tout les habitants de l'immeuble réquisitionné soient entraînés à déceler chez le journaliste ce type d'attitude. Lorsqu'un journaliste comme celui-là est repéré, il faut lui dire immédiatement d'arrêter de prendre du son et des images, et lui expliquer que son attitude est méprisable et anti-professionnelle. Ce n'est pas une question de liberté de conscience du journaliste. Dans tous les cas il pourra faire le montage qu'il souhaite. Mais lorsqu'un journaliste manipule un interviewé, il n'est plus dans une démarche de recherche d'information, mais dans une stratégie de construction de discours, c'est à dire de manipulation de l'opinion. Si un journaliste se montre trop anti-professionnel, vous pouvez faire valoir votre droit à l'image pour empêcher la publication des contenus. La construction du discours passe par les paroles, mais aussi énormément par les images. Il est capital de ne pas laisser à la portée des journalistes des images susceptibles d'être utilisées contre vous. Espaces sales ou abîmés, tout ce qui peut évoquer, même à tort, un non-respect matériel. Attention aussi au matériel de valeur : la tentation est parfois grande d'accuser les réquisitionneurs de ne pas être « des vrais pauvres », c'est à dire d'être des profiteurs. Lors d'un reportage paru sur un site web, les commentateurs ont débattu pendant des heures à propos d'un appareil photo hors de prix qu'ils ont aperçu sur une photo prise dans une chambre d'un immeuble réquisitionné. En fait, c'était tout simplement l'appareil photo de l'un des journalistes ! Parfois le journaliste ne fait pas exprès de donner à voir des éléments qui dévient la réception de l'information. Il faut que les lieux soient propres et agréables, pour éveiller l'intérêt des journalistes : un squat bien tenu, c'est extraordinaire (selon eux) ! Mais qu’on puisse quand même vous plaindre un peu, sinon le reportage ne dénonce rien, si ce n'est vous. Bien insister sur le fait que vivre en réquisition suscite des dépenses financières, que ce n'est pas gratuit. Et évidemment c'est une insécurité vis à vis de la loi et moralement c'est difficile à assumer. Il ne faut pas oublier de dire que votre bâtiment est complet : sinon, des centaines de squatteurs viendront frapper à votre porte pour se faire héberger après vous avoir vus à la télé... Attention, trop de médiatisation met en péril votre réquisition. Lorsqu'un bâtiment cesse d'être un simple témoin de la lutte contre la crise du logement, pour en devenir un symbole, il devient gênant pour la préfecture. Même si vous êtes déjà en procédure et que vous ne pouvez pas être expulsés, la préfecture peut hâter le procès, influencer la décision du juge, et même faire une expertise qui atteste la dangerosité des lieux, pour faire évacuer précipitamment l'immeuble. Un autre moyen consiste à évacuer pour cause de nuisances de voisinage, en prenant appui sur une seule déclaration d'un voisin de mauvaise foi. 13 – Les politiques Les politiques peuvent être un soutien très puissant au moment du procès et surtout une fois l’avis d’expulsion tombé. Les politiques sont friands de visibilité lorsque cela peut améliorer leur image. La plupart des élus de gauche, mais aussi certains élus du centre, peuvent avoir un intérêt à s’afficher en soutien à une réquisition citoyenne, à condition que vous ayez su vous présenter en gens responsables et politisés (de leur côté). Les maires surtout peuvent vous soutenir dans la mesure où ils ont un énorme besoin de bâtiments pour y faire du logement social. Un bâtiment occupé se rachète pour beaucoup moins cher qu’un bâtiment vide. Les maires peuvent faire valoir leur droit de préemption qui leur donne la priorité sur tout autre acheteur. Ainsi, lors de la réquisition du 24 rue de la Banque, en face de la Bourse, le maire (vert) Jacques Boutault, a apporté très tôt son soutien au Ministère de la Crise du Logement. Cela a poussé le juge à ne pas condamner les habitants à payer des indemnités d'occupations. Pendant toute la campagne présidentielle, en période où l'immeuble était expulsable, les responsables politiques ont tour à tour exprimé leur soutien au bâtiment : Dominique Voynet, Olivier Besancenot, Marie-Georges Buffet, José Bové, et Ségolène Royal. Par le biais de Gauthier Caron-Thibaut, conseiller PS de Paris, le rachat du bâtiment par la ville a pu être négocié peu après l'élection présidentielle. Le succès de cette opération facilite le renouvellement de ce « partenariat » entre la Mairie de Paris et Jeudi-Noir. La recherche de soutiens politiques se situe dans la logique de la réquisition, et s'avère indispensable pour pérenniser un lieu réquisitionné. Nouer des liens avec les politiques est un travail parfois ingrat : sur un sujet délicat comme la réquisition, ils ont une inertie et une difficulté à s'engager impressionnante. Lorsque vous les sollicitez, ils cherchent souvent un moyen de se débarrasser de vous sans vous froisser, et commencent à décrire la complexité de la situation et à vous promettre qu'il vont y réfléchir. Tous les élus ne sont pas des cyniques uniquement préoccupés de leur réélection et de ne pas froisser les électeurs. Certains osent prendre des risques pour défendre ce qu'ils pensent être l'avenir. Mais un bon nombre n'est pas habitué aux démarches de désobéissance, et ils pensent, avec raison d'ailleurs, que cela peut nuire à leur image. Il est donc indispensable, pour les aider à s'engager, de travailler à soigner votre image médiatique et politique. Sans devenir moins pertinent ni tiède, travailler à se faire considérer comme crédible et digne de confiance, auprès des médias comme auprès des élus, est simplement la condition de possibilité de la lutte. Il ne s'agit pas de choisir entre la radicalité ou la tiédeur, mais d'adopter une attitude constructive et pas seulement protestataire, sans pour autant trahir son discours. Lorsque vous arrivez à plaire aux médias, à les mettre de votre côté et à obtenir de manière quasi-systématique une couverture qui vous valorise, alors vous commencez à représenter un intérêt pour les politiques. Il ne s'agit pas d'être instrumentaliser ou manipulés, mais la prise de position comporte des risques objectifs pour un élu. Si vous lui donnez la possibilité de gagner en terme d'image, c'est une aide et un encouragement pour lui à s'engager et à vous soutenir. Le soutien des politiques n'est pas un pacte avec le diable, ou une perte d'indépendance, mais une collaboration dans l'intérêt des deux parties. Bien évidemment, plus ce que vous proposez intéresse l'élu, plus il sera intéressé pour vous appuyer. Un collectif comme Jeudi-Noir, qui utilise les politiques autant qu'il est utilisé par eux, n'a aucune hésitation à créer des liens avec les élus de droite. Rendez-vous avec Borloo, Pécresse, Boutin, soutien des jeunes du Modem ou du Nouveau Centre... Jeudi-Noir pratique l'ouverture, et s'évertue à critiquer les ministres qui le reçoivent, tant qu'ils ne prennent pas clairement position en faveur de nos revendications. 14 – Le procès Le propriétaire a envoyé un huissier constater l'occupation : il a relevé l'identité de chaque personne présente ou de chaque occupant si vous lui remettez une liste. L'huissier va revenir porter des « assignations à comparaître devant le tribunal d'instance » de l'arrondissement concerné. Le procès peut être « en référé », c'est à dire en urgence, voire en « référé d'heure en heure », si l'urgence menace des personnes. En gros, si le propriétaire dénonce une voie de fait, le procès peut être en référé. S'il dénonce une dangerosité du lieu, le procès peut être en référé d'heure en heure. Dans tous les cas, l'urgence est demandée par le propriétaire et peut être accordée ou non par le juge. En procédure normale, compter quatre à cinq mois entre le constat d'huissier et l'audience, en référé deux mois, en référé d'heure en heure, deux semaines. Il faut à tout prix vous mettre en contact avec un avocat dès le début de la préparation de votre réquisition. Si vous n'en avez pas, contactez Jeudi-Noir. Dès que vous avez reçu les assignations, il faut faire une demande d'aide juridictionnelle pour chaque personne assignée, et constituer un dossier comprenant : les contrats EDF, eau, télécom... des photos avant les travaux/après des photos de chaque pièce présentable du bâtiment et pour chaque occupant : une lettre au juge expliquant votre situation et demandant un délai avis de non-imposition demande de logement social justificatif de demande d'aide juridictionnelle livret de famille attestation RMI, assedic, contrat de travail, revenu parent isolé, cotorep, bref tout ce qui justifie de votre situation. Et un jour ou l’autre arrive le moment du procès. Il ne faut pas se leurrer, jamais un procès n’a donné raison à des réquisitionneurs, et ce n’est pas encore demain que ça arrivera. Le procès se conclut toujours par un arrêté d’expulsion, néanmoins il est possible d’obtenir des « petites victoires ». D’abord, le procès peut être reporté si la plainte du propriétaire est insuffisamment fondée. S'il ne peut pas présenter d'acte de propriété valable, si le constat d'huissier est invalidé. Ensuite il est possible d’obtenir un délai avant l’expulsion, ce délai varie entre deux mois et deux ans. Enfin, le juge peut décider ou non de condamner les occupants à payer des indemnités. Il faut savoir que si le juge condamne les occupants à payer des indemnités, alors le propriétaire peut se retourner contre la préfecture en cas de non-application de la décision d’expulsion. La préfecture est alors sommée de payer les indemnités à la place des occupants tant qu’elle ne procède pas à l’expulsion. Par conséquent, si le juge ne condamne pas les occupants à payer des indemnités, le propriétaire ne dispose d’aucun moyen de pression sur la préfecture. Or la préfecture a souvent plus urgent à faire que de déloger des habitants paisibles. Les amendes auxquelles les occupants sont éventuellement condamnés ne sont pas réclamées dans la mesure où l’occupant n’est pas solvable. Après cette première décision de justice, il est possible de saisir le JEX ou juge de l'exécution, qui est chargé d'aménager la peine retenue lors du procès. Attention, le recours au JEX ne suspend pas l'exécution de la décision d'expulsion. Compter un ou deux mois entre la décision de justice et l'audience au JEX. Il est également possible de faire appel. L'appel non plus n'est pas suspensif. 15 – L'expulsion A un moment, si vous n'avez pas réussi à faire racheter le bâtiment par l'Etat, cela doit bien arriver : lorsque tous les leviers juridiques, médiatiques et politiques ont été utilisés, l'autorité responsable, commissariat ou préfecture, décide d'en finir, et ordonne l'expulsion. Une fois la décision du juge transmise aux occupants par l'huissier et une fois le délai écoulé, l'huissier peut donner aux occupants un commandement de quitter les lieux, qui menace d'expulser si les habitants ne décampent pas avant un délai de quelques jours. Si les occupants ne partent pas le lendemain du dernier jour du délai, l'huissier doit procéder à une tentative d'expulsion, tout seul, avant de pouvoir demander l'intervention de la police. Mais parfois, l'huissier et le commissariat, ou directement la préfecture s'il s'agit d'une affaire traitée à ce niveau, se mettent d'accord pour expulser directement, sans prendre le temps de déposer une demande de recours à la force publique. Entre le commandement de quitter les lieux et l'expulsion, la police est censée faire une enquête sociale, pour juger si les occupants peuvent être mis à la rue ou s'ils doivent impérativement bénéficier d'un relogement. Les enfants en bas âge, les personnes invalides ou les femmes enceintes sont mentionnés dans l'enquête sociale. Mais très souvent cette enquête est bâclée, voire purement et simplement omise. Et lorsqu'elle est faite elle est rarement respectée. L'expulsion est obligatoirement faite en présence de l'huissier, qui doit présenter un avis d'expulsion. L'expulsion n'est pas autorisée après 22h et avant 6h. Elle a donc très souvent lieu à 6h pile. Lors de l'expulsion, l'huissier est censé faire l'inventaire de tous les biens des occupants, les faire déménager dans un garde-meuble, et les y stocker durant quelques jours, le temps que les occupants les récupèrent. Le plus souvent, le propriétaire autorise les occupants à prendre avec eux les affaires les plus importantes au moment de l'expulsion. 16 – Comment faire face à la triche du propriétaire ou des pouvoirs publics ? Parfois le propriétaire ou la police ne jouent pas le jeu légal. Il y a quelques années, ce genre de situations pouvait arriver, mais cela se réduisait à des cas isolés. Depuis l'été 2007, le virage autoritaire des pouvoirs publics ET des propriétaires a multiplié les cas de dépassement du cadre légal par la police. Le cas de la descente de gros bras envoyés par le propriétaire a déjà été abordé, dans la rubrique « rapports avec le propriétaire ». Solution : appeler la police. Chances de succès = 95% En cas d’expulsion illégale par la police, c'est à dire une fois le délai de cinq jours d'occupation dépassé, et avant une décision du juge, c'est déjà plus compliqué. Barricadez-vous le temps que votre avocat arrive, appelez les médias. Il faut être très au fait des législations, car l'officier chargé de l'opération ne reconnaîtra jamais qu'il est hors la loi. Soit il prétend que l'occupation est postérieure au délai des cinq jours. Dans ce cas, c'est à lui de le prouver. Il doit établir la preuve que vous n'habitiez pas le lieu cinq jours avant. Soit il prétend que l'occupation doit dater de plus de huit jours. Même chose, il doit apporter la preuve qu'elle est postérieure, et surtout il doit justifier d'une occupation par une « bande organisée » légitimant le recours à cette législation spéciale anti-terroriste. Soit il prétend expulser pour motif de sécurité. Il doit alors avoir dans les mains un état des lieux réalisé par un architecte mandaté par la préfecture spécifiant que les locaux en question sont impropre à toute utilisation. Seuls les locaux définis comme tels peuvent être expulsés. Mais la plupart du temps, l'officier qui expulse ne sait même pas au nom de quel motif il opère. Leur méconnaissance de la loi et leur totale confiance en les ordres de leurs supérieurs hiérarchiques leur fait agir sans se poser aucune question. Ils savent qu'ils sont couverts, et ne s'imaginent pas que des squatteurs puissent avoir raison contre eux. Il est très important de se battre pour le respect des procédures, même si cela n'aboutit quasiment jamais à une réintégration. Une victoire judiciaire contre la préfecture pour expulsion illégale peut la dissuader de recommencer. Parfois l'expulsion est légale, lorsqu'elle fait suite à une décision de justice et que tous les délais sont dépassés, mais elle ne se fait pas dans les formes requises. La police doit venir entre 6h du matin et 22h, accompagnée d'un huissier avec avis d'expulsion. Un inventaire des biens doit être effectué et ces biens doivent être placés en garde-meuble. En cas de non-respect des cadres juridiques, il faut porter plainte, alerter les médias, alerter la population du quartier, les élus, constituer des comités de soutien... Chances de succès = 20% En cas de procès démesurément sévère : faites appel, alertez les médias. Chances de succès = 5% En cas de loi anti-squat : changez de pays, ou faites la révolution !! Un moyen légal de mettre fin à une réquisition est parfois employé par les pouvoirs publics : c'est l'arrêté de péril. Il suffit à la préfecture d'envoyer un architecte effectuer une visite de sécurité dans un bâtiment occupé, et de s'arranger pour que l'architecte note un danger potentiel quelconque, pour autoriser une évacuation sans devoir s'encombrer ni de l'avis du juge ni de la présence d'un avocat. Le prétexte est très facile à trouver : les législations sur la sécurité sont si exigeantes que 80% des bâtiments parisiens, par exemple, pourraient être considérés comme dangereux. Une aération trop importante ou trop faible, une multiprise, une fissure, un mastic un peu vieux, des cartons dans un placard, une prise électrique dans une salle de bains... Peuvent suffire à autoriser une expulsion. Pour contrer cela, une seule solution : conserver une discipline irréprochable en ce qui concerne les équipements de sécurité, et effectuer une contre-visite préventive avec constat d'huissier attestant la non-dangerosité de votre bâtiment. 17 – SPECIAL PROPRIETAIRES : Comment éviter de se faire réquisitionner ? Louez vos immeubles, c’est encore le plus simple. Si vous avez peur des impayés de loyer ou des dégradations, concluez une GRL (garantie des risques locatifs). Cela ne coûte pas cher, et vous avez l'assurance d'être remboursé en cas d'impayés ou de dégradations par le locataire. Autre solution : le dispositif « louez solidaire et sans risque » (à Paris) vous permet de louer votre bien à la ville de Paris, avec l'assurance d'un loyer payé en continu pendant trois ou six ans. La gestion est assurée à 100% par la municipalité. Agissez pour la baisse des loyers, en baissant les vôtres, en incitant les politiques pour qu’ils régulent les loyers. Il n'y a pas d'autre façon de résoudre la crise du logement de manière satisfaisante que de baisser les loyers. L'accession de tous à la propriété est un leurre, qui ne fait que préparer les conditions d'une crise des subprimes à la française. Le logement social est un gouffre financier pour l'Etat. Dans un marché du logement concurrentiel, soit les propriétaires s'auto-disciplinent, et baissent leurs loyers volontairement, soit c'est à l'Etat de les contraindre à le faire. Un plafonnement législatif des loyers doit être assorti d'une taxation des locaux vides, pour contraindre les propriétaires à louer. Avec une baisse des loyers, l'immobilier sera un investissement moins lucratif, tout en continuant d'être rentable. Restaurer la valeur travail, c'est aussi lutter contre les revenus des rentiers. Investissez dans la construction de logements : Livret A caisse d'épargne, crédit coopératif... La baisse des loyers est une chose, la mobilisation des locaux vides (bureaux...) aussi, mais pour apaiser la pression immobilière, il faudra investir tôt ou tard bien plus fortement dans la construction de logements. La caisse des dépôts et des consignations, par le biais du livret A, finance le logement social. Il existe d'autres moyens de placer votre argent au profit de la lutte contre le mal-logement. Prêtez ou donnez vos bâtiments vides à des squatteurs responsables ! ça vous épargnera des habitants moins respectueux. Vous avez un bâtiment que vous ne pouvez vraiment pas louer, que vous ne pouvez pas vendre ? Mettez-le à disposition d'une association comme MACAQ : elle assure l'entretien, le gardiennage, la remise aux normes de sécurité, et installe dans votre bâtiment des services culturels et sociaux au habitants, des activités de solidarité et de convivialité. Grâce à la signature d'une convention de bail précaire, vous avez l'assurance de récupérer votre bâtiment quand vous en avez besoin. Votez pour des responsables politiques qui luttent contre les difficultés des locataires. Récupéré sur le blog des enfants de Don Quichotte. En date du 16/11/2008.

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