vendredi 24 février 2012

Sans toit ni loi (1)



Publication dans "l'avenir" de février 2012, périodique des communistes de Rennes-Métropole.
Un entretien réalisé par Marcel-Claude Boixière

L’association Droit au Logement 35 (DAL) vient de publier son rapport annuel (dal35.blogspot.com).
L’occasion de faire le point avec l’un de ses responsables : Yannic Cottin.

“En 2011 nous avons hébergé quotidiennement une moyenne de 300 personnes (dont 60 enfants) dans 11 réquisitions. Le nombre de personnes que nous logeons est en augmentation ; nous faisons mieux que le 115. Même l’hôpital Sud nous sollicite ainsi que divers services de travailleurs sociaux.”
Pour le DAL l’important est de protéger les personnes ; l’Humain donc avant toute chose. “Quand nous faisons des réquisitions, elles sont propres et organisées ; on inscrit les enfants à l’école ; on les enlève à la misère quotidienne.” Particularité rennaise les sans-logis sont en majorité des immigrés en situation régulière.“C’est la misère, la guerre aussi qui poussent les gens à s’exiler ; c’est dur de partir. Combien meurent avant d’arriver ici ?”

Des lois votées mais des lois inappliquées
Retour sur squat. Fin 2010 : 80 personnes se retrouvent dans l’ancien funérarium dans des conditions d’hébergement et d’hygiène épouvantables. La situation dure ; des semaines, sans réaction officielle. Et puis soudain l’emballement : la médiatisation, télé, radios, journaux. En haut lieu, on s’affole. Trop tard. Le scandale éclate. On réagit. On loge, c’est-à-dire qu’on disperse ces personnes. On leur donne un ticket de bus pour aller : débrouillez vous pour la suite. Et vogue la galère. Dans la foulée, la ville crée le plan Coorus (hébergement pour 80 personnes) : “mais il était déjà plein avant d’être finalisé”. Et surtout on oublie d’y associer le DAL.
2011 : réquisition rue de Fougères, un immeuble vide appartenant à l’Etat. Pendant deux mois, cent cinquante personnes y logeront. Puis un matin dès potron-minet on ne joue plus ; la loi sur l’hébergement n’a pas été appliquée mais la préfecture fait évacuer tout un petit monde ensommeillé. Encore une fois, c’est la pauvreté qui est criminalisée. 25 véhicules de police quadrillent le quartier. Les déménageurs sont là, la préfecture n’a rien oublié ; les cartons se font au milieu des uniformes et des casques : on vous les rendra plus tard. Pour le DAL, l’évacuation manu militari est illégale ; son avocate alerte la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur les procédés de la préfecture et les conditions d’accueil des migrants à Rennes. L’affaire est pendante mais notre pays doit fournir des explications sur ses méthodes policières.

Novembre-Décembre 2011
Deux réquisitions rue Poirier-Nivet, des familles. Elles n’avaient pas de toit, on leur dénie l’accès à l’eau. La ville et Veolia  se repassent le refus d’ouvrir les compteurs d’eau ; et ça dure. Deux mois. Pas de toilettes non plus. Les voisins aident : quand les gens aiment les gens tout est possible. Deux bébés sont nés pendant ce temps. Déjà réfugiés et déjà hors la loi, un premier Noël dans l’illégalité “puisque la préfecture 35 n’applique ni les lois françaises ni européennes qui stipulent qu’un demandeur d’asile doit être logé et nourri”. Et Rennes qui devient une zone de non-droits.

Perplexité
“Dorénavant la ville fait murer ses maisons vides. Elle fait installer des codes-barres sur les murs et une société privée vérifie que tout est conforme, sans occupation intempestive. Avec quel argent est-elle payée ?” s’interroge Yannick Cottin. La préfecture argue qu’elle n’a pas assez de moyens financiers pour loger tout le monde. “Son budget de 275 000 euros est épuisé pour payer les hôtels où on ne peut ni faire bouillir l’eau d’un biberon ni laver son linge. Ce n’est pas la solution ; de plus cela coûte cher. Nous demandons à la préfecture d’ouvrir des structures d’accueil pérennes ; pourquoi la mairie n’exige-t-elle pas du préfet qu’il réquisitionne quelques uns des 10 000 logements vides à Rennes Métropole ? Elle en a le pouvoir.” “A chaque fois qu’on nous attaque en justice, nous obtenons un délai d’occupation pour nos réquisitions”. Plusieurs fois le DAL a attaqué la préfecture devant les tribunaux pour non renouvellement de titres de séjour et non hébergement. “À chaque veille d’audience, miracle, la préfecture renouvelait les récépissés. Et les audiences étaient caduques”. A force, vaincue par ses pratiques la préfecture y a renoncé. Sed lex dura lex.
“Quand les gens sont expulsés ils se retrouvent à la rue, un milieu particulièrement hostile pour les familles et les femmes isolées. On se bat depuis plus de deux ans et c’est bien parce qu’il n’y a pas d’appui politique local que la préfecture et l’Etat demeurent hors la loi. On regrette que jamais un seul élu n’ait franchi le seuil d’une réquisition. Dans ce combat où la préfecture, donc l’Etat, ne respecte pas les lois, c’est important que les élus locaux viennent se rendre compte sur place. On ne leur demande pas de cautionner nos actions. A nos yeux, loger 300 personnes n’est pas difficile ; si chacune des mairies de Rennes Métropole prend sa part il n’y a plus personne dehors.”
Alors que tout cela se passe au 21e siècle, à Rennes, le DAL 35 souhaite attirer l’attention des candidats aux prochaines élections sur les impératifs de solidarité et de respect des lois.

NB : Le 11 Janvier 2012, le DAL35 adressait une énième lettre à la préfecture pour lui signaler que 124 personnes (dont 24 enfants et 4 bébés de 1 mois à 11 mois) se trouvaient à la rue.
Enième absence de réponse. Mais au DAL 35 on est tenace.


(1) Dans un arrêt historique, le Conseil d’état vient de placer l’hébergement au rang d’une liberté fondamentale. Au gouvernement d’en tirer les conséquences.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire