mercredi 28 décembre 2011

Les squats du Dal à l'épreuve de l'hiver : "On compte sur l'humanisme de la justice"

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  Près de 300 personnes, majoritairement des demandeurs d’asiles, passent en ce moment les fêtes de fin d’année dans onze habitations de fortune «réquisitionnées» par les membres du DAL (Droit Au Logement). L’association demande des mesures d’urgence pour les mal-logés, et notamment la mise à disposition de logements vacants dans l’agglomération. Malgré l’illégalité de leur action, c’est devant les tribunaux que les militants du DAL s’efforcent de faire respecter les droits des personnes à la rue. 

Un air de Nativité façon XXIème siècle 


  Publiée quelques jours avant Noël, la «bonne nouvelle» annoncée par le DAL 35 a fait beaucoup de bruit : «Rennes, deux nouveaux nourrissons à la rue». Depuis sa création en 2009, ce sont les onzièmes et douzièmes naissances dans les squats ouverts par l’association. Aujourd’hui, elle héberge en tout une soixantaine d’enfants, dans des conditions parfois très précaires, mais les personnes qui font appel au DAL n’ont souvent que la rue comme autre alternative. Les militants ont conscience que les occupations sans titre qu’ils effectuent sont «illégales», ils considèrent cependant leur action comme «légitime» puisque leurs principales revendications portent sur l’accès des demandeurs d’asiles à leur droits. Ils pointent du doigt la responsabilité de l’Etat, qui à leurs yeux ne respecte pas la Convention de Genève sur les réfugiés et laisse sur le carreau des milliers de personnes dont la loi assure en principe la subsistance.

En France, les demandeurs d’asile ne sont plus autorisés à travailler depuis une circulaire de 1991, mais en contrepartie des Centres d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile (CADA) sont chargés de les héberger et de subvenir à leurs besoins matériel le temps que leurs demandes soient traitées. A condition d’avoir pu retirer et compléter le dossier, et accéder si besoin à un interprète. D’après le DAL, deux mois sont nécessaires pour décrocher un premier rendez-vous, et une fois la demande enregistrée l’attente est encore de deux ou trois semaines. Une situation qui s’est aggravée ces trois dernières années, depuis la diminution du nombre de bornes EURODAC (identification des migrants par empreintes digitales) pour n’en laisser qu’une par région. Celle de Rennes est donc la seule pour toute la Bretagne. 

    Ce système de bornes n’en finit pas de défrayer la chronique, avec notamment le scandale des «doigts brûlés», ou le calvaire des files d’attentes devant les préfectures qui commencent parfois tôt le matin, voire la veille. L’effet «entonnoir» est tel (850 demandes en 2010, pour deux guichets), que le préfet de région songe à en réouvrir une borne dans le Finistère.

« Un toit pour tous, c’est inconditionnel »

      Avec 21 410 places en 2011 (selon l’OFII) pour environ 50 000 nouvelles demandes chaque année, et une procédure qui dure en moyenne 19 à 20 mois (selon France Terre d’Asile), l’offre d’hébergement de l’Etat ne recouvre qu’un quart des besoins réels. «Tout le système est saturé», constate Michel Guérin, membre du DAL 35. En Ile-et-Vilaine, l’ultime recours que constitue le 115 est selon l’association encore plus problématique que dans le reste de la France : «56% des coups de fil n’aboutissent pas, il n’y a que deux lignes pour tout le département, (...) et ensuite, 70% des demandes ne sont pas satisfaites», précise le militant. A défaut d’être aidés par des réseaux de migrants ou par des associations, de nombreux demandeurs d’asile tombent dans l’errance. Et parfois dans la clandestinité.

    Les habitants des squats du DAL n’ont pas tous le statut de demandeurs d’asile. Certains n’ont pas encore déposé leur demande, d’autres ont été déboutés et doivent quitter le territoire à moins de faire appel devant la Cour Nationale du Droit d’Asile. Quelques uns attendent une naturalisation, ou un renouvellement de permis de séjour. Au-delà de l’appui matériel et logistique aux personnes à la rue (matelas, couvertures, nourriture, récupérés ou provenant de dons), l’association fait de plus en plus appel à la justice pour les cas les urgences les plus criantes. Grâce à l’engagement d’une avocate bénévole, des recours en référé ont par exemple permis d’obliger les autorités à délivrer des récépissés ou fournir des hébergements à des familles avec enfants, ou des personnes âgées, malades, handicapées... «Le lendemain», se souvient Michel Guérin, «ils étaient tous là devant la préfecture, l’article de journal à la main». La trêve hivernale n’existe pas pour les «occupants sans droits ni titres», rappelle-t-il, mais dernièrement un ordre d’expulsion concernant un squat du DAL 35 a été repoussé jusqu’au 15 mars, date de la fin de la trêve. Dans les faits, les juges font preuve de clémence vis-à-vis des mal-logés, et accordent souvent des délais supérieurs au minimum légal (quatre à six mois au lieu de deux). Sans cette période de sursis, beaucoup d’occupants n’auraient pas le temps de trouver une autre solution d’hébergement, et se retrouveraient à nouveau à la rue. 


    C’est par exemple ce qui s’est passé lors de l’expulsion du squat au 280 rue de Fougère. Les membres du DAL 35 ont d’ailleurs porté l’affaire devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Ils reprochent à la préfecture une expulsion sans préavis, et la promesse non tenue de reloger tous les demandeurs d’asile à l’issue de l’opération. «On compte sur l’humanisme de la justice», admet Michel Guérin, «un toit pour tous, c’est inconditionnel». 
 
La municipalité prise entre deux feux

   Mardi dernier, le Réseau Logement pour toutes et tous 35, qui rassemble le DAL, la Cimade, ainsi que des mouvements écologistes et communistes, a publié un communiqué pour demander le rétablissement de l’eau courante, toujours coupée dans deux squats. La demande est adressée principalement à la ville de Rennes, laquelle a répondu que «les associations ne font pas appel au bon interlocuteur», cette décision ne relevant pas d’elle «mais des propriétaires, ou de Veolia», indique-t-on à la mairie. Régulièrement prise pour cible par le DAL, la municipalité assure que «l’accueil des migrants dépend entièrement de la responsabilité de l’Etat», et que la ville ne peut s’y substituer. A moins de faire payer deux fois les contribuables pour le même service.

Les rapports très tendus entre l’association et la municipalité proviennent surtout des occupations qui ont lieu dans des bâtiments publics : lorsque le cas se présente, la ville n’a guère d’autre choix que de demander l’expulsion, à moins de cautionner un acte illégal et de s’exposer à des représailles judiciaires. Le DAL quant à lui estime que la dignité humaine prévaut sur toute autre considération, et continue à demander la réquisition de logements vides. En réponse, la municipalité a entrepris d’accentuer la pression sur les représentants de l’Etat. En novembre 2010, le maire Daniel Delaveau avait convaincu le préfet de voter un plan d’urgence pour les mal-logés, et son équipe a lancé en mai dernier un dispositif baptisé «CoorUS» (Coordination d’Urgence Sociale). D’autres communes de Rennes Métropole, notamment celles dans lesquelles le DAL a ouvert des squats, ont accepté de participer à ce programme qui a permis la mise à disposition de 75 logements dans l’agglomération. Des efforts consentis en dehors de toute obligation légale, mais jugés insuffisants par l’association qui prend en charge un nombre toujours croissant de mal-logés.  

    Le lien entre le DAL et la mairie n’est pourtant pas totalement rompu, puisque tous les mercredis matin l’association se présente devant l’élu de permanence pour faire remontrer à la préfecture les dossiers les plus récents ou les plus sensibles. Entre l’indifférence de l’Etat d’une part, et les protestations des associations d’autre part, les autorités locales semblent faire office de fusible social. Pour l’heure, les pouvoirs publics et les militants pour le droit au logement sont toujours face à une équation insoluble : respect de la légalité contre urgence humanitaire, à qui la primauté?

Olivier ROTH - 27 Décembre 2011 - Rennes


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